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CHRYSOSTOME ET EUDOXIE.

rudesse qui gâtait parfois ses meilleures actions. La plupart des diaconesses vivaient très mondainement, accommodant autant qu’elles pouvaient Dieu et Baal ; plusieurs même déshonoraient le sanctuaire par des galanteries scandaleuses. Après avoir recueilli des renseignemens particuliers sur chacune d’elles, le terrible juge les fit comparaître devant son tribunal pour entendre leur arrêt. Il licencia les plus compromises en leur disant : « Je vous rends votre liberté, remariez-vous, vous ferez bien ; » c’était le précepte de saint Paul qui disait aussi : « Mieux vaut se marier que brûler. » À celles pour lesquelles il y avait encore rémission, il imposa une pénitence sévère et des règles de discipline tout à fait monastiques ; il ne parut pas que celles-ci lui fussent beaucoup plus reconnaissantes que les premières.

Telle était dès le début de son épiscopat la situation de Chrysostome en face de son église ; elle ne fit que s’empirer quand les rancunes trouvèrent un point d’appui dans l’impératrice avec l’espoir d’un prochain affranchissement. Il nous reste à voir ce qu’elle était en face des populations et particulièrement du troupeau chrétien de la seconde Rome, qui, au rebours de la première, ne comptait guère de familles élevées qui ne fussent de la religion de l’empereur. Quant aux païens, ils observaient curieusement le spectacle de cette lutte commençante. Assez peu portés pour Eudoxie, mais plus malveillans encore pour l’archevêque, dont l’humeur acerbe et hautaine les blessait, ils étaient tout disposés à prendre parti contre lui dans des questions qui leur étaient d’ailleurs étrangères, et c’est ce qu’ils ont fait dans leurs histoires.

Chrysostome, et c’était le fond de son caractère, mêlait à un vif sentiment de charité évangélique des élans involontaires de révolte contre l’inégalité sociale. Il aimait le peuple d’un amour de prêtre, il l’aimait aussi d’un amour de tribun. Sans voir la richesse d’un mauvais œil, il ne la comprenait que comme un moyen que Dieu nous donne pour le remplacer dans la distribution des biens qui viennent de lui. Le riche insensible aux souffrances du pauvre lui semblait un impie, un sacrilége qui volait Dieu, et l’étalage des plaisirs, le faste insolent de celui qui a vis-à-vis de celui qui n’a pas, un manquement aux lois divines et humaines, Il mettait la vanité des richesses à côté de la dureté du cœur, et poursuivait l’une comme l’autre de ses paroles les plus amères. C’est ce que son biographe appelait « plonger l’acier dans le cœur des riches pour en extirper l’apostume de l’orgueil. » La formidable question du pauvre et du riche, du mauvais riche du moins, de celui qui ne jette pas à Lazare les miettes de sa table, revenait perpétuellement dans ses sermons. Non-seulement l’usure lui était odieuse, mais il lan-