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où s’était couchée Carminette et la cheminée contre laquelle s’était adossé Prosper pour prononcer son discours du trône. — C’est singulier, se disait-il ; mon frère et moi nous sommes bien différons l’un de l’autre, et pourtant nous nous ressemblons. Nous avons tous deux en horreur la vie bourgeoise ; mais nous n’en sortons pas par la même porte.

Enfin il se mit au lit. Je ne sais si les fumées du punch travaillaient son cerveau ; mais jusqu’au jour il vit passer dans ses rêves des Carminette et des beautés malaises. Il se réveilla tard ; à peine eut-il recouvré ses esprits, il fit des réflexions fort différentes de celles de la veille. Ce qui l’y aida fut l’état de désordre dans lequel lui apparut son cabinet de toilette. L’étoile y avait laissé des traces par trop visibles de son court passage : dans un coin, une serviette bouchonnée et mise en tapon, des brosses gisant au milieu du parquet, une cuvette ébréchée, sur la toilette deux flacons brisés. Didier se reprocha sa tulérance et rentra de plain-pied dans son rôle de mentor. — Voilà donc la situation ! se dit-il. Mon aimable frère entretient une jjrodigicuse enfant dont il se promet d’exploiter le talent. Dois-je contribuer pour cette entreprise commerciale ? Où sont passés mes quinze cents francs ? Hier, bien qu’il éludât mes questions, Randoce m’a découvert le fond de son âme et de ses yeux. Il a des convoitises infinies ; la question de génie réservée, voilà ce que je découvre d’immense dans son affaire. Lui rendrais-je service en me faisant le caissier de ses appétits ? C’est de conseils qu’il a besoin ; je lui en donnerai pour l’acquit de ma conscience.

Il fut bien étonné quelques heures plus tard, quand Prosper se présenta devant lui d’un air posé, et, tirant de son portefeuille quinze billets de cent francs, lui dit : — Mon cher ami, je viens m' acquitter de ma dette. Elle me pesait. Vous connaissez mes petites idées sur l’amitié. Ne vous inquiétez de rien ; Dubief est payé, voici sa quittance. Et cependant je vous ai tenu parole, je n’ai pas joué ; une rentrée sur laquelle je ne comptais plus m’a remis à flot.

Émerveillé de cette aventure inattendue, Didier fit quelque difficulté d’accepter les billets ; il dut céder, son frère insistant sur un ton qui ne souffrait pas de réplique. Alors il se leva, ouvrit le buffet où il avait serré Y Andromède, et offrit à Prosper cette charmante copie du groupe du Puget. — Vous me permettrez du moins, lui dit-il, de vous faire hommage de ce bibelot. Je l’ai acheté à votre intention ; tout à l’heure Baptiste le portera chez vous. Prosper ne fut pas trop surpris de trouver Y Andromède entre les mains de Didier. Ne voyant plus le groupe à la vitrine, il s’était renseigné auprès de Dubief. Le cadeau ne l’étonna pas davantage ;