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mille citoyens, défenseurs volontaires de l’ordre, avaient prêté serment comme constables spéciaux entre les mains des autorités civiles, s’engageant à se joindre aux dix mille hommes de la police régulière. Après une telle démonstration, ce retour prudent en arrière ne devait pas même servir à calmer les esprits, car le ministère, par une incroyable négligence, oublia d’avertir la presse et le public de ce changement de tactique ; la proclamation qui avait été lancée contre le meeting ne fut point officiellement rapportée. Les gens tranquilles restèrent sous l’empire de la crainte, et le parti réformiste continua de se préparer à une collision.

Ce qui devait empêcher que la paix publique ne fût en péril ce jour-là, ce n’était ni l’attitude du gouvernement, ni même ce sentiment d’horreur des répressions sanglantes, tellement inné dans tous les cœurs anglais que le duc de Wellington lui-même, si habitué qu’il fût à la vue des champs de bataille, cédait devant l’émeute en disant que tout vaut mieux que deux heures de guerre civile. Un autre sentiment assura le maintien de l’ordre : c’est le respect de la légalité, chose dont on ne s’inquiéterait certes guère chez nous aux approches d’une émeute. Là, ce dont on se préoccupa des deux parts fut de savoir si le gouvernement avait ou n’avait pas le droit de faire fermer les grilles du parc pour empêcher un rassemblement de s’y former. A plusieurs reprises, on avait demandé l’avis des conseillers légaux de la couronne, et la réponse avait toujours été dans le sens du ministère ; mais ce qui est plus étonnant, c’est la déférence avec laquelle le chef du parti réformiste reçut cette décision et s’inclina devant la suprématie de la loi. Il est certain que Londres a dû sa tranquillité, le 6 mai, à une proclamation de M. Beales. Ce jour-là, par l’inaction systématique et imprévue des agens du pouvoir, la ville s’est trouvée à la merci de ce chef de la ligue et des trades’ unions, et quelque jugement que l’on porte sur sa politique en général, tout le monde reconnaît que si la loi n’a point été enfreinte, si la paix publique n’a été troublée en quoi que ce soit, c’est à lui qu’en revient l’honneur. Le parc, que l’on s’attendait à voir transformé en un champ de bataille, se remplit, sous l’influence du beau temps, d’un peuple immense jouissant de son triomphe le plus tranquillement du monde, et la démonstration faite, la foule, au lieu de se livrer au pillage et à l’incendie, ainsi qu’on l’avait annoncé, alla se presser gaîment autour d’un gamin mauvais plaisant qui, grimpé sur une estrade, s’était mis à la haranguer en parodiant les discours et les gestes des orateurs du meeting.

Au reste, il est curieux de connaître quel était ce moyen légal qui, selon les jurisconsultes, aurait permis au gouvernement