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les anciens Gaulois, se charger de véritables commissions pour les morts. — « Qui a des commissions les donne, dit un mourant, qui a des chagrins trop grands les écrive et m’apporte sa lettre. »

De pareils passages portent M. Passow à dire : « Les klephtes n’ont aucune foi aux séjours des bienheureux et des méchans. » Ils ne croient, suivant le savant allemand, qu’au « triste royaume inférieur, où Kharos conduit les morts. » M. de Marcellus lui-même va jusqu’à dire que pour le peuple grec « l’enfer est encore une demeure souterraine et ténébreuse où descend un escalier que ferme une porte. » Pluton ou Hadès n’était aussi pour les Hellènes primitifs que la terre considérée comme réceptacle des morts, une forme masculine de l’Aditi védique. Plus tard, l’idée anthropomorphique dominant davantage, Hadès finit par devenir presque toujours un dieu du Tartare et des lieux inférieurs sous le nom de Pluton ; mais la vieille idée pélasgique avait jeté trop de racines dans l’imagination du peuple pour ne pas reparaître dès qu’elle serait délivrée des conceptions des théologiens.

Sans avoir le caractère hargneux de Kharos, de la Peste[1] ou des Parques, les êtres mystérieux dont le monde est rempli sont assez misanthropes. Ghiannis chantait en cheminant sur la neige. Le dragon se montre et lui dit : « Ghiannis, je vais te manger. » Ghiannis, étonné de la colère du monstre, s’informe des motifs de son courroux. « Tu réveilles, répondit-il, les rossignols dans leurs nids, et tu troubles mon sommeil et le repos de ma dragonesse. » Les êtres qui obéissent à l’instinct s’irritent de voir la turbulente « raison » de l’homme troubler sans cesse la paix de la nature ; mais qu’on soit victime de Kharos ou de la Peste, qu’on tombe sous la dent de quelque dragon irrité, on descend sous la terre « qui doit nous dévorer. »

Tous ces faits, — et il serait aisé d’en citer bien d’autres, — montrent que la doctrine fondamentale des chants grecs n’est guère plus orthodoxe que celle des pesmas ; mais ainsi que dans les poèmes serbes les idées ou les pratiques chrétiennes y apparaissent, surtout en certaines provinces, comme des épisodes. Les dieux immortels sont remplacés par les saints, transfigurés conformément aux besoins des imaginations. Par exemple tout en croyant toujours aux « esprits des eaux » auxquels appartient l’empire des mers, le matelot n’invoque plus Poséidon, leur ancien souverain, mais il place sur son navire l’image protectrice du patron des ondes, saint Nicolas, qu’on nomme le Poséidon des chrétiens, qui, pendant la

  1. La ballade roumaine sur le choléra donne une idée de la manière dont l’Orient personnifie la peste. Le choléra est une vieille édentée, ayant la peau collée aux os et les cheveux ornés de serpens sinistres.