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Ce n’est pas une recherche bien ardue, et peut-être le montrerons-nous, que d’atteindre par cette voie une notion satisfaisante de la Divinité. Cependant il y faut quelque effort. Dans la pratique de la vie, la plupart de nos connaissances indispensables nous viennent de l’expérience, et ce que nous y ajoutons du nôtre s’y combine si naturellement que ce travail qui nous est propre est pour nous comme insensible, et que nous croyons aisément avoir tiré du dehors tout ce que nous pensons. De là cette foi générale, facile, rapide, dans le témoignage de nos facultés perceptives, et comme c’est par elles en fait que tout notre savoir commence, nous en croyons aisément ceux qui nous disent qu’il n’y a d’autres sciences que les sciences d’observation ou d’expérience, entendant par ces deux mots l’observation et l’expérience qui ne s’attachent qu’aux objets de la sensibilité. C’est cette théorie scientifique qui, après avoir revêtu bien des formes et porté bien des noms, a cherché à se rajeunir depuis quelque quarante ans sous le titre de positivisme. Le positivisme en effet repose au fond sur ce principe : l’être n’est connu que par l’expérience externe. La sensation de Condillac ou la perception des Écossais témoigne seule des existences, et tout être qui est connu ou plutôt conçu et supposé par une autre voie est idéal et exclusivement idéal ; il n’est pas, disent les dogmatiques de cette école ; il est comme s’il n’était pas, disent les sceptiques, et suivant les uns et les autres toute spéculation sur de telles hypothèses est une science fausse et qui n’a pas droit d’exister.

Or comme rien n’est plus facile que de montrer que les objets de toute philosophie religieuse ne peuvent être représentés par la mémoire ou l’imagination, puisqu’ils n’ont jamais été présentés à la sensation, à la perception, à l’observation, à l’expérience, on comprendra ce que devient pour une telle doctrine toute théologie, toute théodicée, toute métaphysique. Ce sont autant de fantaisies d’esprit dont on a peine à s’expliquer la durée, et que l’on espère par une négation hardiment répétée supprimer pour l’avenir.

Mais cette incrédulité à l’égard de toute existence qui n’est point expérimentalement percevable n’est pas seulement une source d’athéisme ; elle contribue à produire des résultats tout opposés. Elle est pour quelque chose dans cette disposition si générale de l’humanité à prêter des formas sensibles aux choses divines ou à diviniser des phénomènes naturels. Le fétichisme et l’idolâtrie ne peuvent s’expliquer que par un penchant de l’esprit à ne croire réel que ce qui se montre aux sens, et même on pourrait dire que toute religion positive est, comme le mot l’indique, un effort qui peut être légitime, mais qui la plupart du temps est téméraire, pour rendre en quelque sorte la théodicée positiviste en la fondant sur des expériences de fait, certifiées par des témoignages historiques.