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pas parvenu à être populaire. Il a eu beau traiter les sujets les plus émouvans, les plus familiers au peuple et en exagérer l’horreur afin de frapper plus vivement ; si ses efforts ont trouvé de dignes appréciateurs, ils n’ont pas, on peut l’affirmer sans crainte, subjugué la masse de ses contemporains. Cornélius est bien de ceux qui ébranlent d’une main impitoyable les cordes douloureuses du cœur humain ; il veut agir surtout par le frisson, c’est un génie terroriste ; son pinceau, son crayon, étalent avec complaisance toutes les menaces du dogme ; la souffrance, la mort, l’éternité, assiègent sa pensée et planent sur toute son œuvre. Cela vient maintenant trop tard. Les croyances chrétiennes, qui avaient assombri la vie à force de célébrer la mort, qui avaient assombri la mort même en l’entourant d’un hideux cortège et en y rattachant des perspectives redoutables, pèsent d’un joug plus léger sur les esprits ; les vaines terreurs se sont dissipées devant la réflexion et la science, les âmes se sont tranquillisées, sinon rassérénées, les apocalypses ont perdu leurs épouvantemens. Ces rêves de l’imagination folle d’effroi n’excitent plus qu’un vague étonnement mêlé d’ennui. En s’en inspirant, le peintre moderne ne peut plus compter que sur les ressources de l’art, sur la puissance du beau, qui gagne jusqu’aux incrédules et qui rajeunit les sujets les plus vieillis.

Quoique les fresques du Campo-Santo de Berlin n’aient pas été exécutées, l’esquisse qu’on en possède et les cartons qui ont été achevés suffisent pour nous mettre à même d’en porter un jugement raisonné. Je ne suis pas, je l’avoue, du nombre de ceux qui ne se consolent point que ces peintures soient restées à l’état de projet ; peut-être est-ce ici le cas d’appliquer le mot d’Hésiode : « la moitié vaut mieux que le tout. » Les objections auxquelles donnent lieu les fresques de Munich sont faites pour atténuer sensiblement les regrets, et l’on incline en y pensant à féliciter l’artiste des circonstances qui lui ont épargné l’épreuve d’une exécution complète. Ce n’est pas que Cornélius acceptât l’arrêt de ceux qui lui refusaient les qualités du peintre ; tout dédaigneux qu’il fut du savoir-faire, il protestait énergiquement contre cette opinion. Un critique plein de justesse, qui me paraît pourtant avoir un peu forcé l’admiration en parlant de Cornélius, quoique son habitude ne fût pas d’exagérer l’éloge, disait à propos des morceaux exposés à Paris en 1855 : « Abondant, ingénieux, lorsqu’il s’agit d’inventer, il ne possède plus rien qui le caractérise lorsqu’il arrive à l’exécution ; pour l’estimer à sa juste valeur, sans le surfaire ni le rabaisser, le meilleur parti est, je crois, de le considérer comme un décorateur qui tient à l’effet général et ne prend pas grand souci de l’achèvement des morceaux. » Rien de plus exact que ce jugement, sauf que Cornélius se croyait bien autre chose qu’un