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systématique des spoliations ! Comptez le long de votre route les cinq cents potences dressées par les archanges Mouraviev, Berg, Manioukine, et les villages rasés ; visitez la citadelle de Varsovie, où l’on torture nos prisonniers politiques, et faitez-vous bien montrer la cellule où notre Levitou s’est brûlé tout vif afin d’échapper à des tourmens indicibles ! Traversez à la lueur de la colonne céleste, — à la lueur de la conscience et de la raison humaines, — cette mer rouge, cette mer du sang polonais, au-delà de laquelle on vous montre la terre promise ; étudiez bien notre enfer, il conduit à votre paradis…[1] » Vaines furent les admonitions des feuilles de Galicie et de Posen, — et tout aussi gratuites se trouvèrent être bientôt les appréhensions conçues un moment à Moscou dans les premiers jours de l’exposition à la suite d’un léger retard que les hôtes avaient mis dans leur départ de Vienne. Les autorités russes avaient si diligemment pris leurs mesures, les « hôtes » de leur côté apportaient une bonne volonté si exemplaire de ne voir partout que des feux de joie et des sujets d’allégresse, que rien ne put troubler la sérénité des « enfans de la Slava » dans leur réunion fraternelle.

La première rencontre eut lieu le 16 mai, en-deçà de la frontière autrichienne, près de Czentochowa. La grande députation slave y fut reçue par le général Kokhanov, gouverneur de la province de Piotrkow, le général de division Glébov, le colonel d’état-major Sokovitch et un régiment d’infanterie de Kolivan. Les tambours battaient aux champs, la musique militaire exécutait des marches ; des discours furent échangés et des santés portées au tsar, à la nation russe et aux Slaves. Czenstochowa, avec son célèbre couvent de pauliniens et l’image miraculeuse de Notre-Dame de la Claire-Montagne (Jasna-Gora) est en Pologne la place saine et historique entre toutes. Dans cette ville, bâtie sur un rocher, l’ancienne chevalerie sarmate a plus d’une fois résisté victorieusement aux invasions ennemies ; c’est de là qu’elle repoussa Carl-Gustave au XVIIe siècle ; au XVIIIe, Pulaski y livra ses derniers combats au moment du partage. Devant l’image de Notre-Dame de la Claire-Montagne, tous les rois et hetmans de la Pologne venaient se prosterner et demander la bénédiction pour leurs armes avant d’entrer en campagne, — Sobieski entre autres, avant qu’il ne courût à la délivrance de Vienne, — et ce lieu attire encore à l’heure qu’il est des milliers innombrables de pèlerins venant de tous les pays catholiques d’alentour, de la Silésie, de la Moravie, de la Bohême. Les hôtes slaves ne négligèrent pas de visiter un endroit aussi célèbre ; mais ils furent péniblement affectés lorsqu’au couvent les pauliniens leur adressèrent la parole en latin. « Pourquoi ne pas choisir

  1. Voyez le Dziennik de Posen, le Czas de Cracovie et la Gazeta Narodowa de Léopol, du mois de mai 1867.