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Page:Revue des Deux Mondes - 1867 - tome 71.djvu/175

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temps. Nous ne dirons pas avec le journal officiel russe que le congrès de Moscou est un fait « colossal ; » mais c’est à coup sûr un fait grave et qui mérite d’être pris en très sérieuse considération. Certes les menées moscovites dans les pays du Danube et du Balkan ne sont pas précisément d’invention toute récente, elles remontent même bien loin dans le passé, elles datent du règne de la grande Catherine. Avec plus ou moins de hauteur et de dédain envers la Porte-Ottomane, avec de très grands ménagemens au contraire à l’égard du cabinet de Vienne, la Russie a toujours eu soin d’entretenir chez les Slaves de l’Autriche et de la Turquie des intimités, des relations au nom de la foi ou de l’origine commune. Sous main et à la sourdine, la propagande panslaviste est conduite ou protégée depuis bientôt un siècle ; mais c’est pour la première fois que le gouversement de Saint-Pétersbourg en assume hautement la responsabilité, qu’il fait déployer dans ses états le drapeau des sainte Cyrille et Méthode. Dans un empire où tout est surveillé, réglé et commandé d’en haut, où rien ne se fait spontanément, où tout est arrangé et voulu, des « Slaves étrangers, » sujets de deux puissances voisines et « amies, » ont été admis, ont été provoqués à venir exposer leurs griefs, porter des plaintes contre leurs gouvernemens respectifs, demander assistance et délivrance au nom d’un droit des gens tout nouveau, du principe fraîchement écrits des grandes agglomérations et des unités nationales. On n’a pas été assez niais, — pour emprunter le style de l’organe ministériel, — on n’a pas été assez niais pour éconduire ces « députés » étranges, pour leur parler raison et résignation ; on leur a parlé au contraire d’un « sort meilleur et prochain, » on les a promenés à travers toutes les villes de l’empire au milieu des manifestations enthousiastes dirigées par les colonels et les archimandrites, on les a accablés de témoignages de sympathie, d’ovations et de démonstrations auxquelles prenaient part l’armée, la magistrature et tout ce qu’il y a d’élevé dans le monde officiel. Des généraux, des amiraux et des ministres ont présidé à des banquets où le désastre de Sadowa fut célébré comme uni événement providentiel et heureux par des sujets de l’empereur François-Joseph, où des appels furent adressés au tsar, au baliouchka (père), afin de venger les outrages séculaires de la Blanche-Montagne et de Kossovo, de planter la bannière russe sur les Dardanelles et la basilique de Sainte-Sophie, où la Russie fut proclamée une puissance panslave, une puissance engagée d’honneur à réaliser la « grande idée. » Ce qu’il y a de plus grave, c’est que la Russie elle-même a reçu de toute cette agitation un contre-coup et un élan qu’il serait désormais difficile de vouloir comprimer, dont le gouvernement au ; contraire devra forcément tenir grand compte. À ce peuple moscovite si docile et si impérieux en même temps, à la fois rusé et