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fatalité des renommées ! ce sont les Baliol qui passent pour les traîtres et les félons[1], ce sont les Bruce qui sont célébrés comme les héros et les sauveurs de la patrie. Les malheurs inévitables de la position de Baliol ont couvert son nom d’infamie ; l’éclat du petit-fils de Bruce a revêtu tous les siens d’une brillante auréole, et cependant c’est la fortune qui a tout fait !

Je me trompe, une chose nouvelle est apparue, ou du moins a pris conscience d’elle-même à ce moment, et cette chose nouvelle a consacré la gloire de la famille qui s’est attachée à la faire triompher, l’opprobre de celle qu’on a accusée de l’avoir trahie. Le lecteur n’a-t-il pas remarqué que parmi tous ces candidats, tous ces plaideurs âpres au gain, devant ce juge qui se dit suprême et qui n’a d’autres titres que sa force, il manque quelqu’un de plus important, de plus indispensable que tous, il manque la nation même dont il s’agit ? On entend plus ou moins tout le monde, excepté l’Ecosse, dont on dispose sans qu’il y ait une seule voix pour parler en son nom. La nation écossaise existait cependant, mais endormie et ne se connaissant pas elle-même. Elle devait se réveiller quelques mois après, à la suite de ce vaste procès qui était pour Edouard Ier le réseau où il comptait prendre sa proie. Cette comédie, qui marche a pas comptés, finit brusquement. La question tranchée entre Baliol et Bruce, ce roi si patient juge sommairement les prétentions des autres. Il a fait reconnaître la loi anglaise en matière de succession royale, il a établi solidement son droit de suzeraineté ; Baliol a les mains liées, il est étroitement enchaîné au joug ; qu’y a-t-il de mieux à faire que de le proclamer roi, de recevoir son hommage et de renvoyer les autres plaideurs chez eux ?

N’est-il pas vrai que de telles analyses de procédures ouvrent dans l’histoire des points de vue nouveaux, et ne sommes-nous pas fondés à dire qu’il fallait dans le même homme un archéologue et un légiste pour en tirer tout ce qu’elles contenaient ? Tout le monde sait que Bothwell, le troisième époux de Marie Stuart, fut acquitté par le jury sur le chef du meurtre du roi Henry Darnley. De ce jugement, qui donne un démenti à la vérité, les uns ont fait une nouvelle accusation contre Bothwell et Marie, sa complice, les autres une apologie pour Marie et pour Bothwell lui-même. M. Burton, avec sa méthode judiciaire, réduit ce verdict à sa véritable valeur, et prouve clairement que, devant les questions qui lui étaient posées, le jury ne pouvait faire d’autre réponse. Nous aurions pu

  1. Dans son ouvrage intitulé The Scot abroad, M. Burton raconte que, dans les écoles du temps de son enfance, les maîtres avertissaient de ne pas confondre le nom de Baliol avec celui de Bélial.