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Page:Revue des Deux Mondes - 1867 - tome 71.djvu/327

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désormais l’effet d’une législation promulguée de toutes pièces par Dieu lui-même. C’est seulement à la condition de se bien pénétrer du fait que le judaïsme est essentiellement, en vertu de sa constitution depuis l’exil, une religion légale, c’est-à-dire basée uniquement sur l’autorité d’une loi religieuse, morale, civile, rituelle, dominant, la vie tout entière, que l’on tient en main la clé de son histoire intérieure. Ce que la pureté du dogme ou l’autorité du prêtre fut ailleurs, l’observation de la loi le fut dans le judaïsme, Tout partit de là ou y revint.

Cette préoccupation fondamentale se trahit déjà dans l’importance qu’acquiert très vite une classe d’hommes inconnue ou du moins sans notoriété avant la captivité, celle des sopherim ou scribes, ainsi nommés parce que leur profession primitive fut de transcrire les exemplaires de la loi. Ce nom s’appliqua ensuite à tous ceux qui firent de la loi l’objet de leurs études. Les scribes furent des théologiens-juristes. Esdras déjà porte ce titre, et nul doute que, dans les communautés juives de l’exil, où la caste sacerdotale ne représentait plus qu’un souvenir, ces scribes n’aient vu de très bonne heure grandir leur influence. Il s’agissait avant tout de savoir comment, dans les circonstances nouvelles, on pouvait vivre conformément à la loi. D’un côté, il y avait meilleure volonté qu’auparavant pour en observer toutes les prescriptions ; mais de l’autre, cette loi dans son ensemble n’était plus littéralement applicable. La propriété, le commerce, la politique, les relations avec l’étranger et avec le pouvoir suzerain, le culte, l’impôt, tout, par suite des graves changemens survenus, exigeait qu’il s’établît une jurisprudence religieuse et civile définissant ce qui était permis, ce qui restait défendu, indiquant les règles tombées en désuétude par la force des choses, celles au contraire dont il fallait renforcer l’autorité. Ainsi commença le long et minutieux travail dont les résultats devaient quelques siècles plus tard s’emmagasiner dans le Talmud. Les scribes anonymes de la grande synagogue se livrèrent à un labeur obscur et persévérant pour façonner le peuple, autant que le permettaient les circonstances, sur le patron de la vieille loi, et cette tendance, bien loin de les rendre indulgens, les entraîna plutôt vers un rigorisme exagéré ; ils étendaient à outrance les obligations légales et raffinaient sur le sens, des textes sacrés. Ils se proposaient surtout de prévenir les transgressions involontaires ou intéressées que pouvait excuser le vague ou l’ambiguïté des vieux préceptes.

De pareils travaux, roulant le plus souvent sur une masse de petits détails et d’intérêts vulgaires, devaient nécessairement conduire à la subtilité, à la casuistique, au bigotisme, et les scribes