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Page:Revue des Deux Mondes - 1867 - tome 71.djvu/488

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Malheureusement dans ces vingt ans la royauté s’est mille fois compromise ; elle a usé ce qu’elle avait de popularité, et d’un autre côté cette force d’action qui a existé autrefois, qui a eu un rôle éclatant par l’intelligence et par le sens politique, qui a été l’organisatrice de l’Espagne constitutionnelle et qui s’est appelée le parti modéré, cette forcé n’existe plus. Le parti modéré espagnol a péri de ses propres mains, je veux dire par toutes les passions et les ambitions des hommes. Une moitié s’en est allée vers l’union libérale, ce parti nouveau né des débris de tous les autres et qui s’est personnifié dans le général O’Donnell ; une autre portion a passé à une sorte d’absolutisme équivoque et inavoué qui depuis longtemps s’essaie à gouverner l’Espagne ; le reste ne forme qu’un amas flottant et incohérent sans lien et sans drapeau. Le parti modéré espagnol n’a pas vu que ce qui a fait autrefois son autorité et sa prépondérance, c’est qu’il représentait avec une réelle supériorité d’esprit le libéralisme sensé, intelligent et pratique, et que le jour où il cessait de représenter ces idées, le jour ou il trahissait lui-même par ses tentatives de prétendues réformes cette constitution de 1845 qui était son œuvre, il n’était plus rien ; il n’était, lui aussi, qu’un amalgame. C’est là justement la faiblesse actuelle du parti modéré espagnol. En reniant son passé, ses doctrines, il a perdu son crédit, et ceux qui l’ont conduit dans cette aventure ont mérité un jour cette leçon que leur infligeait un jeune député conservateur dans un des discours les plus éloquens qui aient retenti au congrès. « Quoi donc ! disait il y a quelques années M. Lopez de Ayala, lorsque pendant trente ans on a prêché à une génération qu’elle a le droit d’émettre librement sa pensée, lorsque sous l’influence de tant de protestations, de manifestes et de discours, cette génération a acquis la conscience de son droit et commencé à le pratiquer, suffit-il de lui dire : Taisez-vous, l’expression de votre pensée trouble mon calme ministériel ? Non, elle ne se taira pas ; vos antécédens revivent en nous pour vous servir de remords. Si les doctrines propagées par vous étaient bonnes et profitables, ce reproche sera votre châtiment pour les avoir abandonnées ; si elles étaient fausses et pernicieuses, ce sera encore votre châtiment pour avoir semé l’erreur. Dans tous les cas, votre vie se tourne contre vous, le souvenir de vos œuvres vous poursuit… »

Et c’est ainsi par ce déplacement de toute chose, par cette dissolution ou par cette exaspération croissante de toutes les forces politiques, que l’Espagne s’est trouvée conduite à cette extrémité où tout le monde est à peu près hors la loi, où la violence seule règne sous la forme des insurrections où sous la forme des fantaisies de pouvoir. C’est là le drame de cette histoire espagnole : d’un côté