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d’une majorité parlementaire. Ce qui n’était pas moins sérieux. peut-être, c’était cette situation à demi révolutionnaire créée par l’abstention des progressistes, aggravée dès ce moment par un travail évident de conspiration. C’est alors, le 3 janvier 1866, qu’éclatait la première insurrection militaire dont le général Prim donnait le signal en enlevant quelques escadrons à Aranjuez, Cette levée de boucliers n’avait encore rien de décisif, et le héros de l’aventure, Prim, battait triomphalement en retraite vers la frontière de Portugal, sans avoir même cherché une rencontre avec les généraux du gouvernement envoyés à sa poursuite ; mais c’était le signe d’un commencement de désorganisation, d’une possibilité de défection dans l’armée, et de l’irréconciliable hostilité des progressistes, qui n’attendaient évidemment qu’un succès de Prim. Le danger de cette échauffourée, c’est précisément qu’elle ne tranchait rien ; elle laissait à la conspiration ses espérances, au gouvernement ses embarras en face d’une situation énigmatique, irritante, dont les modérés se faisaient une arme pour combattre le ministère de l’union libérale, pour lui reprocher ses ménagemens, peut-être même ses connivences. Ce n’était en réalité qu’un prologue ou un premier acte ; le drame venait bientôt, et il fut terrible : ce fut l’insurrection du 22 juin 1866 à Madrid, l’une des journées les plus sanglantes dans l’histoire de la révolution espagnole.

Le moment était d’ailleurs bien choisi. Depuis six semaines, le ministère était à se débattre dans les chambres pour obtenir une sorte de dictature semi-politique, semi-financière. Il demandait d’un seul coup l’autorisation de percevoir les impôts, d’introduire dans le budget toutes les économies qu’il pourrait réaliser, d’entrer en arrangement avec les créanciers étrangers, de faire un emprunt, d’augmenter au besoin les forces de mer et de terre en présence des événemens qui menaçaient de jeter l’Europe dans la confusion. C’était vraiment beaucoup pour une seule fois et pour un ministère qui avait commencé par les déclarations les plus libérales. Seulement les circonstances devenaient pressantes, la situation intérieure et extérieure s’aggravait chaque jour. Les discussions se prolongeaient ardentes, passionnées, troublées par une vague anxiété, par le pressentiment d’une explosion dont les symptômes se multipliaient, lorsque le 22 juin au matin cette insurrection si souvent annoncée, attendue par le gouvernement lui-même, éclatait comme un coup de foudre. Un régiment tout entier d’artillerie, et quelques escadrons d’un autre régiment venaient de se soulever, tuant leurs officiers, se retranchant dans une des principales casernes, la caserne de San-Gil, et mettant la main sur un immense dépôt d’armes. En même temps des barricades s’élevaient de toutes