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Page:Revue des Deux Mondes - 1867 - tome 71.djvu/661

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questionnés plus à loisir ; mais tandis que du bout du doigt il interrogeait le pouls de la vieille lady Cawdor, ou scrutait du regard le larynx du général Donaldbain, il ne pensait en réalité qu’à résoudre le problème de ses relations futures soit avec Ronald, soit avec Madeleine Kilsyth. Rentré chez lui, assis à sa table solitaire, il voulut essayer de lire, comme il s’y était habitué depuis quelques jours, afin d’écarter l’idée de la place vide en face de lui ; mais il s’aperçut bientôt que son attention ne pouvait se concentrer sur des lignes qui se brouillaient, des caractères qui dansaient devant ses yeux. Il repoussa donc le livre, et s’absorba dans des réflexions dont il faut bien offrir ici le résumé succinct.

Le capitaine Kilsyth venait de lui infliger une véritable humiliation, et sans aucun doute de propos délibéré. Pourquoi ? Très certainement à cause de Madeleine ; mais comment avait-il pu se douter, Madeleine l’ignorant elle-même, du penchant qu’elle inspirait ? A supposer même que ce penchant eût été révélé au capitaine, pourquoi s’y montrait-il tellement hostile ? L’idée d’une mésalliance n’autorisait pas chez lui des procédés aussi brusques, aussi violens, aussi peu conformes à la dignité d’un gentleman… Une mésalliance ! L’idée qu’éveillait ce mot semblait prendre corps pour la première fois dans la pensée du malheureux qu’elle torturait à son insu… Oui, pourquoi Ronald s’était-il ainsi conduit ?… Il aurait pu prendre ombrage d’un tête-à-tête entre sa sœur et Wilmot, si ce dernier eût encore été engagé dans les liens du mariage, mais à présent… A présent, se répéta Wilmot, et à ce moment-là même tout son sang reflua vers son cœur, ces deux mots éclairant d’une lueur sinistre le long cortège de ses pensées. N’avait-il rien transpiré au sujet de la mort qui le rendait libre ? Ces obscures allusions d’Henrietta Prendergast sur les causes qui avaient poussé Mabel à des résolutions désespérées, le sort mystérieux de ce flacon scellé,… fallait-il croire qu’il en fût revenu quelque chose au frère de Madeleine ?… Alors plus de secret. Si le suicide était seulement soupçonné par lui, ce soupçon, transmis de bouche en bouche, serait demain chose publiquement avérée, non peut-être par le fait du jeune capitaine, — il se tairait, ne fût-ce que par égard pour sa sœur ; — mais ce qu’il savait, lui, pourquoi d’autres ne le sauraient-ils pas ?

De plus, maintenant décidé à ne plus revoir Madeleine, comment Wilmot allait-il expliquer soit au vieux Kilsyth, soit à lady Muriel la brusque interruption de leurs rapports. Le père interrogerait inévitablement son fils, le fils répondrait en s’expliquant sur ces rumeurs inquiétantes et partout répandues. A partir de ce moment, ni l’amitié de Kilsyth, ni la bienveillance marquée de sa femme ne