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politique survivant au triomphe d’une idée. Vers le soir, le palais de verre qu’un incendie n’a guère ménagé il y a un an s’illumina, des cordons de lumière accentuèrent les lignes de cette architecture fantasque. On feu d’artifice tiré dans le jardin présenta le bouquet de la fête. Au milieu des fusées et des chandelles romaines, des fontaines et des jets d’eau revêtant tour à tour la couleur changeante des flammes, se détachaient en traits de lumière ces mots significatifs : reform act of 1867.

A peine les derniers feux de Bengale s’étaient éteints que l’on se réunit dans la salle du banquet, décorée de drapeaux et de devises. Le fond était occupé par un orchestre devant lequel s’étendait la grande table du comité où siégeaient le président, M. Ceorge Potter, quelques membres du parlement et d’autres gentleman. Parmi eux se distinguait sir John Bowring, un des vétérans de la cause libérale et un ancien disciple de Jeremy Bentham. Après une courte prière dite selon l’usage avant le repas par un ecclésiastique n’ayant pas craint de se joindre à la manifestation, les convives, pour la plupart ouvriers, s’assirent devant les autres tables bien garnies, et la musique joua pendant tout le dîner. C’était maintenant le tour des toasts ; celui de la reine et de la famille royale ne fut point oublié, puis le président déclara que la classe ouvrière acceptait le reform act de 1867 comme un à-compte (instalment). Les discours prononcés à ce banquet n’étaient d’ailleurs guère de nature à nous éclairer sur les véritables sentimens des travailleurs anglais. Il y avait beaucoup plus à apprendre sous ce rapport du meeting qui avait été tenu en plein air durant la journée dans un coin du jardin. Là des orateurs plébéiens, avec la rude éloquence inculte qui distingue quelques-uns d’entre eux, avaient énergiquement exposé leurs griefs et réclamé justice pour l’Irlande. Il ne faudrait point en conclure que les ouvriers anglais sympathisent avec les fenians mais ils accusent le parti orangiste d’avoir refoulé par des mesures arbitraires une population ignorante et malheureuse vers l’abîme des sombres utopies et des actes de désespoir. Les unionists avaient été des premiers à réclamer le pardon de Burke et d’autres chefs condamnés à mort, dont le ministère de lord Derby a généreusement commué la sentence. Un des orateurs les plus remarquables du mouvement réformiste, M. Conolly, est lui-même un maçon irlandais. Sa parole vive, imagée, pittoresque, a plus d’une fois étonné John Bright, qui se connaît en éloquence. Il est à regretter qu’il ait gardé le silence dans cette occasion ; mais par l’ensemble des discours et par le caractère de la fête on pouvait clairement juger de l’esprit de la classe ouvrière dans la Grande-Bretagne. Résolue à se servir plus que jamais du droit