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de discussion, elle ne demande qu’à la force morale les moyens de pousser la porte entr’ouverte qui lui ménage désormais une entrée dans l’état.

Le nouveau reform act n’est ni l’œuvre d’un homme ni celle d’un parti ; c’est la conquête de la nation, et comme tel il ne saurait inspirer aucune inquiétude. Tout porte au contraire à croire que cette juste et utile mesure ralliera de plus en plus les ouvriers anglais à un régime de liberté. Il n’y a guère de pays où ils eussent autant d’obstacles à surmonter et autant de préjugés à vaincre que dans la Grande-Bretagne. Concentrés eux-mêmes dans un égoïsme de caste dont les statuts des trades’ unions portent trop souvent la trace évidente, ils ont plus d’une fois élevé des barrières contre leur propre affranchissement. Qui les a en partie ramenés vers la vie politique ? L’énergie d’une constitution sous laquelle chacun peut choisir ses armes et le terrain de la lutte. L’avantage des Anglais est que, n’attendant point leur sort des mains qui tiennent le pouvoir, ils ne demandent nullement à ceux qui les gouvernent la permission d’être libres, — c’est un droit qu’ils prennent. Tenus en équilibre les uns par les autres, les élémens de la société ne sauraient d’ailleurs jamais dépasser certaines limites. Il n’est aucun parti qui voudrait pour lui-même d’un succès destiné à effacer dans l’état l’antagonisme des opinions. Il se peut que la classe ouvrière, moins familiarisée avec les règles du gouvernement constitutionnel, se montre dans les commencemens plus envahissante ; mais elle sera bientôt ramenée par la force des choses ainsi que l’exemple des autres classes vers des prétentions justes et modérées. Le consentement de tous ou presque tous est ici nécessaire à certaines réformes, et si cette condition exige l’aide du temps, elle écarte du moins le danger des réactions politiques. Contre les terreurs qu’inspirent à quelques-uns les progrès de la démocratie, les Anglais ne vont point chercher leur protection à l’ombre d’un maître, ils se : tiennent fermes sous l’égide d’institutions qui assurent à la société elle-même le libre exercice de tous les droits et de toutes les résistances.


ALPHONSE ESQUIROS.