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congénères. Il y a cinquante ans, Cuvier disait : « Donnez-moi un os, et je reconstruirai l’animal en son entier. » On voit que depuis ce jour la science n’est pas restée immobile.

Les mœurs des insectes et des arachnides trahissent des organisations très complexes et très parfaites, qui nous étonnent d’autant plus qu’elles fonctionnent dans des corps de dimensions plus infimes. « Lorsqu’un être est petit, dit M. Blanchard, on est porté à s’imaginer que l’organisation doit en être très simple, l’intelligence absolument nulle. L’effet du volume est incroyable sur une foule d’esprits. La dimension d’une baleine, la taille des reptiles des anciennes périodes géologiques, commandent l’attention, excitent l’intérêt. L’attention s’éveille difficilement, s’il s’agit du plus admirable phénomène de l’organisme d’une mouche, et cependant les facultés des êtres les plus humbles fournissent des enseignemens précieux pour la raison du philosophe. » Lorsqu’on étudie en détail les habitudes de ces êtres si bien doués et si négligés de nous, on ne peut même se refuser à reconnaître que, sous le rapport de l’intelligence, quelques-uns d’entre eux sont supérieurs à beaucoup de grands animaux. Non-seulement ils ont des sens très développés qui leur apportent de nombreuses perceptions, des instincts d’une merveilleuse finesse, des aptitudes extraordinaires pour tout genre de travail, mais nous sommes obligés de convenir qu’il y a là quelque chose de plus, des indices irrécusables de facultés supérieures. Lorsque les individus d’une même espèce exécutent toujours les mêmes travaux sans avoir rien appris ni rien oublié, on peut dire que l’instinct seul les dirige. Il n’en est plus de même si dans le cours du travail il se produit un accident, un obstacle imprévu. Nous voyons alors le petit ouvrier parer à l’accident, tourner l’obstacle, se mettre en garde contre le danger auquel il vient d’échapper. D’autrefois, paresseux par occasion, il profite du hasard, il prend possession d’un vieux nid qu’il rend habitable à l’aide de quelques réparations faciles qui lui épargnent la peine d’élever une nouvelle construction. « L’insecte, que l’on veut supposer agissant à la manière d’une machine, dit M. Blanchard, éveille à chaque instant la pensée qu’il se rend compte de la situation où il se trouve placé et d’une foule de circonstances fortuites. Se rendre compte d’une situation mauvaise et chercher à la rendre meilleure, savoir choisir, concevoir l’idée de s’épargner un travail tout en voulant parvenir au même but, devenir paresseux quand on a été créé pour être laborieux, est-ce de l’instinct ? C’est impossible à admettre. Comment alors se refuser à croire que même de très petits animaux peuvent être doués d’une certaine dose d’intelligence ? Étudions notre sujet ; après avoir bien suivi les actes les plus remarquables qui se passent dans ce monde des animaux articulés, une conclusion sera rendue manifeste : c’est que des opérations considérables, poursuivies sous l’empire d’un instinct spécial, sont impossibles sans