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coloristes à peu près infaillibles, parce qu’ils subordonnent l’agencement des tons à des calculs une fois reconnus exacts, à des règles dont la justesse a été pour jamais démontrée. Même à ne parler que de l’art industriel, où sont les monumens qui nous révèlent chez un peuple des notions de la forme aussi obstinément sûres et une aussi longue succession de dessinateurs ?

Il va sans dire que nous ne saurions entrer ici dans l’examen détaillé des principes qui nous semblent régir le coloris et que nous entendons seulement les rappeler à la mémoire par l’indication de quelques faits. À peine oserons-nous faire remarquer en passant qu’un ton faux ne paraît tel qu’à cause de la place qu’il occupe et non en raison de sa qualité propre, que la vérité ou la beauté de toute coloration dépend du milieu choisi, de l’intensité ou de la douceur des colorations environnantes, et que par conséquent un peintre peut apprendre aussi bien à éviter dans ses tableaux les voisinages compromettans qu’à opérer les rapprochemens utiles. Sans méconnaître l’importance de la couleur, il ne faut donc lui attribuer ni des mérites indépendans de l’expérience, ni un objet supérieur à la sensation. À ce titre, la couleur n’a dans l’art que le second rôle. Elle peut même avoir le danger d’entraîner ceux qu’elle préoccupe à sacrifier dans leurs œuvres l’action au spectacle et l’expression la plus haute de la vie, qui est la pensée, à l’image tout extérieure, à l’effet strictement pittoresque.

Sans doute nous savons comme tout le monde et nous estimons à leur prix les progrès accomplis depuis plusieurs années par une partie de notre école. Il est clair que les peintres contemporains de genre et de paysage s’entendent mieux que leurs prédécesseurs à combiner des tons élégans ou solides, à déterminer agréablement un effet, à imiter le chatoiement des étoffes ou la rigidité des substances inflexibles. Faut-il oublier pour cela les droits de la pensée, du style, de tout ce qui occupe la cime de l’art ? Il semble que pour beaucoup d’entre nous la peinture héroïque ou religieuse n’ait plus d’autre raison d’être qu’un reste de vieil usage, et les voix ne manquent pas pour en annoncer dans un avenir prochain, pour en conseiller dès à présent l’abandon. Autant vaudrait pourtant proclamer l’anéantissement de l’art lui-même. Ceux qui, condamnant l’idéal au nom du progrès, estiment que le talent n’a rien de mieux à faire désormais que de se consacrer à l’imitation des réalités vulgaires ou à la transcription des curiosités ethnographiques, ceux-là ne méconnaissent pas seulement les plus glorieuses traditions et le vrai génie de notre école à toutes les époques ; ils oublient de compter avec les exigences les plus naturelles de l’esprit, avec des besoins éternels comme le cœur humain. En prétendant nous désabuser du beau pour nous inspirer la plate religion du fait, ils s’évertuent à