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transforme, et tu verras alors que jusque dans les bras de la mort il goûtera les jouissances de la vie. Tu pâlissais tantôt quand ma mère te parlait de l’existence future et des âmes trépassées ; pourquoi ? le baiser de la mort n’est glacé qu’autant que ta veine bat des pulsations de la vie terrestre. ! Avec elle s’évanouit tout sentiment d’épouvante. Ici n’est que l’enveloppe, là-bas est la flamme, l’éclair. Viens, parlons pour le pays où Psyché rencontra l’Amour, où les flots du Léthé nous verseront l’oubli et l’ivresse éternelle…

MACHATES. — Chère et belle visionnaire, le monde, toi et moi, nous retient encore ; mais j’éprouve à t’écouter une joie ineffable, et je sens que, si d’en haut, à cette heure, la voix d’un dieu me parlait…

PHILINNIUM. — Eh bien ?

MACHATES. — Je ne dirais pas non à son appel.

PHILINNIUM. — Cette voix t’appelle, Obéis… (Lui coupant une boucle de cheveux. Machates, te voilà fiancé ! Veux-tu me suivre ? (Elle saisit sa main.)

MACHATES. — Te suivre ! Quel trouble étrange me pénètre, si profond et si doux ! Mon cœur bat plus léger ; .. Te suivre, ma bien-aimée,… où te suivre ?…

PHILINNIUM. — Ah ! ne te méprends pas sur la flamme dont je brûle aujourd’hui ; réponds, Machates, consens-tu à me suivre où je vais ?…

MACHATES ; — Oui, je le veux !

PHILINNIUM. — Infortuné ! Tu le veux,… tu le veux… Connais-tu la maison de mon père, connais-tu mon père ?

MACHATES, avec désespoir. — Laisse-moi mourir sur ton sein. Cette terre désormais n’est plus rien pour moi…


Nous avons conduit la pièce jusqu’à la grande scène du second acte ; quant au troisième, Goethe n’a laissé là-dessus aucun renseignement. Il est permis cependant de supposer de quel côté il y aurait à chercher. Si mystérieuse qu’ait été l’entrevue de la fiancée de Corinthe et du jeune Athénien, le secret en a transpiré. La nourrice, rôdant la nuit, a reconnu le spectre, raconté son épouvante à la mère, et bientôt l’histoire emplit la maison. Chacun, à son point de vue, la commente. « Au cri d’effroi de la nourrice, dit l’esclave Davus, je me suis éveillé, glissé jusqu’à la porte, et, n’osant ouvrir, j’ai regardé par les fentes. Non, le délire ne m’égarait pas. Je sais ce que j’ai vu, c’était Philinnium assise sur le lit près du jeune homme et dans les habits dont on la revêtit pour l’ensevelir. Il lui offrait du vin dans une coupe où ses lèvres plongeaient avidement. Elle et lui échangeaient des présens ; ce n’était point là une illusion, un fantôme… Elle vivait ; j’allais m’en convaincre, la toucher, quand soudain le coq a chanté, le jour s’est fait, et tout a disparu. » Cependant les autres hôtes hésitent à croire. Un d’eux, en prévision d’un soulèvement contre les chrétiens que la nouvelle, se répandant, peut amener dans une ville où le vieux levain du paganisme fermente encore sous l’influence des prêtres et des devins, — le Grec Phlégon, — demande une enquête immédiate. « Et d’abord, dit-il au père, est-ce bien vrai que ta fille soit morte ? Ton esprit n’est-il pas dupe de ton pauvre cœur ? L’air qu’on respire ici crée des fantômes. Avec vos pratiques nouvelles, sait-on