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religion du droit monarchique dont son épée avait assuré le triomphe. C’est le premier roi de droit divin qu’ait eu la France, car il ne se croyait comptable à personne du pouvoir, qu’il tenait « de Dieu et de son épée. » Nullement défavorable aux états provinciaux quand ceux-ci lui transmettaient des avis constamment recherchés par sa bonne foi, il s’irritait à la pensée qu’ils pouvaient songer à faire prévaloir leur volonté contre la sienne en plaçant un autre droit à côté du sien. Lorsqu’aux états de Bretagne ses commissaires tinrent le langage que nous venons de rappeler, ils exprimaient la pensée la plus persistante d’un souverain aussi porté aux concessions individuelles qu’inflexible sur les principes. Si la plénitude de son pouvoir semblait en question, ce prince perdait cette liberté d’esprit qui faisait le charme de sa personne et le succès de sa politique. La Bretagne l’éprouva plus d’une fois. Avant de quitter Nantes par exemple, Henri IV avait décidé qu’au lieu de nommer annuellement leur maire les électeurs de cette ville formeraient désormais une triple liste sur laquelle il choisirait ce magistrat. Le même système devait être appliqué à la nomination du sous-maire et du capitaine des compagnies bourgeoises ; mais quand Charles Harrouis sortit de charge, le roi, créant le système des candidatures agréables, appelé depuis à une si brillante fortune écrivit à la communauté pour l’inviter à placer au nombre des trois candidats le sieur de La Bouchetière, trésorier des états, « ce qui nous sera fort agréable, pour avoir donné beaucoup et de bonnes preuves de sa fidélité au bien de nos affaires et à celui de nos sujets[1]. »

Soit impopularité personnelle, soit vieux levain d’opposition, le sujet ainsi recommandé ne réunit pas la majorité des suffrages. Cette résistance à sa volonté fit perdre au roi le sang-froid qui l’abandonnait rarement, et il écrivit ab irato aux habitans de Nantes la curieuse lettre qui suit : « Je trouve fort étrange de ce que au préjudice de ce que je vous ai ci-devant écrit pour élire maire de ma ville de Nantes pour la présente année le sieur de La Bouchetière, lequel j’ai toujours reconnu pour mon très fidèle serviteur, il y en ait eu quelques-uns d’entre vous si hardis que de s’y opposer et d’en nommer d’autres ; c’est pourquoi je vous fais ce mot de ma main par lequel vous saurez que ma volonté est que le sieur de La Bouchetière soit élu et nommé, qu’il n’y ait aucune faute, et que je sois obéi en cela ; autrement j’aurai occasion de chercher les moyens de me faire obéir, à quoi je suis résolu, et de vous témoigner l’envie que j’ai de faire pour vous lorsque vous m’en donnerez sujet[2]. »

  1. Lettre datée de Fontainebleau, 22 avril 1599, aux maires, échevins, manans et habitans de la bonne ville de Nantes.
  2. 8 mai 1599.