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créations du ministre l’opposition procédurière dans laquelle il persista jusqu’à la mort du cardinal, les états commençaient en effet à ouvrir les yeux. Ils avaient compris quel vaste horizon préparait pour la Bretagne la fondation de cette marine militaire dont Henri IV avait si souvent déploré l’absence. Les cadets, vivant dans une pénible dépendance au fond du manoir paternel, les chefs de nom et d’armes, prévoyant pour leurs nombreux juveigneurs une situation voisine de l’indigence, entrevirent dans la création dont leur province fournirait la plupart des élémens une noble carrière pour leurs fils, une importance toute nouvelle pour cette chère Armorique dont le véritable génie allait enfin se révéler. En réunissant à Brest les ressources éparses jusqu’alors de l’ancienne marine du ponant, en y ordonnant de vastes constructions, Richelieu fit de cette ville la capitale maritime de la France. Ce port merveilleux, creusé par la nature avec des conditions de sûreté que l’art ne saurait jamais atteindre, n’avait reçu jusqu’alors que le quart de la subvention allouée aux ports de Brouage et du Havre-de-Grâce, réputés les principaux chantiers de construction. Richelieu attribua quatre fois autant à Brest qu’à chacun des deux autres, et ce grand port devint le quartier-général de la marine française sur l’Océan par suite de l’application d’un règlement admirable, œuvre personnelle du cardinal[1]. L’effet de ces mesures fut si prompt que trois ans après l’escadre de Bretagne, construite tout entière à Brest, fournissait à l’armée navale un contingent de seize magnifiques vaisseaux[2].

Il n’y a donc pas lieu de s’étonner si les états d’Ancenis supplièrent en 1630 sa majesté de donner pour gouverneur à la Bretagne Mgr le cardinal, « qui a choisi cette province pour y former des compagnies, et ses havres pour y mettre les vaisseaux du roi. » Ne disputant jamais à son ministre aucun des pouvoirs nécessaires à l’accomplissement de ses vastes desseins, Louis XIII déféra sans hésiter à ce vœu, et Richelieu reçut les provisions de gouverneur de Bretagne[3]. Ainsi furent terminées les difficultés, insolubles jusqu’alors, élevées à l’occasion des droits de l’amirauté du royaume, droits que les états n’entendaient reconnaître qu’autant qu’ils seraient exercés directement dans la province par le représentant direct de l’autorité royale[4]. L’année suivante, le cardinal

  1. Règlement de la marine, promulgué le 29 mars 1631.
  2. Histoire de la ville et du port de Brest, par M. Levot, t. Ier, p. 119.
  3. Ces lettres de provision sont datées de Compiègne le 16 septembre 1631. Elles réitèrent l’exclusion perpétuelle donnée pour le gouvernement à quiconque se prétendrait issu du sang de Bretagne, et font un magnifique éloge des services et de la personne du cardinal.
  4. Les plus graves de ces difficultés étaient suscitées par l’exercice de ce droit de bris et naufrage qui fournissait en quelque sorte un revenu régulier aux seigneurs riverains des côtes de la Manche et de l’Océan. Ce droit sauvage n’était pas encore ébranlé dans l’opinion même parmi les membres du clergé. Aux procès-verbaux des états de 1629, je trouve dénonciation suivante : « Il a été représenté que les ecclésiastiques et les gentilshommes qui ont le droit de bris y sont troublés par les officiers de Mgr le cardinal de Richelieu. Les états ont chargé leurs députés à la cour de supplier Mgr le cardinal, surintendant de la navigation, de laisser jouir lesdits ecclésiastiques et gentilshommes des droits de bris et autres qu’ils justifieront leur appartenir. »