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Page:Revue des Deux Mondes - 1867 - tome 72.djvu/405

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pureté même est un indice de pauvreté : elle prouve qu’ils ne viennent pas de très loin, qu’ils ont cheminé sur des pentes uniformes, et que le voyage n’a pas été riche en événemens.

Les grands glaciers ont ceci de remarquable, qu’ils sont formés par la réunion de plusieurs. Ils naissent sur les flancs de cimes très élevées, et ne sont possibles qu’autant que les bassins creusés entre les arêtes de nombreuses sommités aboutissent à un réservoir commun. Celui du Mont-Rose est dominé par une douzaine de pics qui mesurent de 3,800 à 4,700 mètres. Ils sont le couronnement d’une muraille qui, après s’être prolongée de l’est à l’ouest, tourne à angle droit vers le nord. De chacun d’eux tombent des arêtes entre lesquelles descendent des vallons qui convergent vers une seule vallée. Arêtes et vallons, avec les pics qui les couronnent, forment un immense amphithéâtre qui, si on pouvait le dégarnir des neiges et des glaces, ne serait que le plus colossal des cirques ravinés que l’on rencontre partout dans les Alpes ; mais le rocher ne se montre qu’aux points les plus saillans des arêtes, et le reste de l’amphithéâtre est couvert de neiges qui se pressent sur les hautes pentes, puis se précipitent dans chaque vallon, et y deviennent des fleuves de glace parfois assez puissans pour passer par-dessus leurs digues et se déverser sur leurs voisins. Arrivés au bas des parois de l’amphithéâtre, ils se réunissent en un seul fleuve et coulent ensemble dans le lit commun que leur offre la vallée principale. Lorsque deux rivières se réunissent, elles tardent à mêler leurs eaux ; les glaciers font mieux encore, ils se refusent absolument à se confondre. Ceux qui sont plus chargés de débris se continuent par un long ruban sale ; ceux qui sont plus purs dessinent à côté une bande plus blanche. La double moraine qui se forme à la jonction les accompagne et les sépare fidèlement. Sur le glacier du Mont-Rose, on peut dès l’origine de la grande vallée compter six ou sept moraines qui indiquent la ligne de démarcation entre les affluens déjà réunis. Cette vallée, d’abord spacieuse, ne tarde pas à se rétrécir, et il faut que toutes ces glaces s’échappent par une gorge qui en certains endroits n’a guère plus de 300 mètres de largeur. Le glacier y accélère son cours, se fait torrent, devient raboteux ; les moraines cheminent les unes près des autres, et bientôt on en voit qui se confondent. Ce n’est pas que les courans qu’elles séparaient aient fini par se mêler, c’est tout simplement que l’un était moins fort que l’autre et qu’il ne va pas plus loin. Cependant la gorge a des contours, et le glacier se tord sur lui-même en se déchirant de plus en plus ; les moraines sont réduites au nombre de deux, la plupart des blocs ont disparu dans les crevasses, ceux qui restent forment des groupes irréguliers entre les hachures béantes ; puis