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Le plus souvent en effet les chefs de pièce ne pourront pas même voir l’ennemi par les sabords, car soit qu’on ne l’ait pas encore atteint, soit qu’on l’ait dépassé en manquant l’abordage à l’éperon, il se trouvera le plus habituellement sur la route même du navire, et on sait qu’avec les cuirasses on ne peut donner aux nouvelles bouches à feu des batteries couvertes qu’un champ de tir fort restreint. Lorsque le vaisseau évoluera, l’ennemi, qui sera le plus souvent très rapproché, ne fera que paraître et disparaître devant les sabords, et la rapidité de ces évolutions ne laissera pas en général au chef de pièce le temps de faire feu, parce que les changemens de pointage en hauteur et en direction seront toujours relativement assez lents par suite de l’augmentation des calibres. Un pointage intérieur préparé à l’avance pour une distance et une direction données sera inutile dans la plupart des cas, car l’artillerie ayant cédé le rôle principal à l’éperon, le capitaine ne choisira pas son heure pour venir sur un bord ou sur l’autre ; il ne pourra presque jamais prévoir d’avance le moment et le sens de ses manœuvres, qui lui seront dictées à chaque minute par celles de ses adversaires. On a beaucoup reproché aux Italiens la manière déplorable dont ils ont servi leur artillerie au combat de Lissa ; on a constaté avec étonnement que les cuirasses autrichiennes ne portaient aucune trace des puissans projectiles de leurs canons, et on en a souvent donné comme raison l’incapacité de leurs équipages et de leurs canonniers, qui n’avaient pas été façonnés à l’avance par de nombreux exercices et une habile direction. Certes cette nullité des hommes a été une des principales causes de leur défaite ; mais l’artillerie italienne était presque tout entière placée dans des batteries couvertes, et cette disposition des pièces n’a pas dû être étrangère au peu d’efficacité du tir en face des nombreuses évolutions des bâtimens ennemis.

Cette incompatibilité des batteries couvertes avec le nouveau mode de combat a conduit à rechercher pour l’artillerie une autre disposition qui peut se prêter mieux que l’ancienne à une vaste étendue du champ de tir ; le but que l’on doit poursuivre est en effet de permettre à toutes les pièces de diriger leurs feux sur tous les points de l’horizon, et de pouvoir au besoin les réunir sur un seul. Cette considération a produit le bâtiment à tourelle ; toute satisfaisante pourtant que soit cette solution, elle ne doit pas pour cela conduire à la suppression totale des anciennes batteries. Non-seulement il importe que les bâtimens soient protégés à leur flottaison par une épaisse ceinture de plaques de blindage, mais il est encore nécessaire que leurs tours ne puissent pas être sapées à la base par les projectiles de l’ennemi, que les moteurs et les soutes à