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intéressés à se rapprocher pour renverser un ministère, et ces groupes eux-mêmes sont rapprochés moins par une opinion commune que par des ressentimens, des rivalités, des passions locales, des antipathies. Il y a des momens sans doute où le sentiment national se réveille et rassemble tous ces élémens incohérens en face d’un péril. Cet énervement de la vie publique n’est pas moins le mal profond de l’Italie depuis quelques années. D’un autre côté, justement à la faveur de cette confusion, l’idée de la liberté religieuse a perdu du terrain. Le mot est resté sur le drapeau, l’inspiration s’est amoindrie. Lorsqu’au mois d’avril dernier M. Ricasoli était obligé de quitter le ministère, il tombait sans doute pour plus d’une raison, pour l’inflexible hauteur de son caractère, pour avoir obtenu du roi un décret qui lui attribuait une sorte d’omnipotence sur ses collègues ; mais il tombait surtout parce qu’il avait présenté la loi proclamant la liberté religieuse, la séparation de l’église et de l’état ; il tombait pour avoir laissé rentrer les évêques dans leurs diocèses, pour avoir envoyé un négociateur à Rome, pour avoir pratiqué d’avance dans les affaires religieuses la liberté qu’il proposait au parlement de sanctionner ; il tombait enfin pour avoir pris au sérieux cette pensée que l’Italie, renonçant à la force, ne devait triompher dans la question romaine que par l’action morale, et c’est ce qui faisait immédiatement la faiblesse de son successeur, M. Rattazzi, porté au pouvoir par une sorte de réaction qui conduisait à une tout autre politique.

Rien ne donne mieux la mesure de cette étrange évolution de la politique italienne, de cette déviation, que les discussions parlementaires où s’agitaient, il y a quatre mois à peine, toutes ces questions. Un ancien ministre de la justice, M. Borgatti, le faisait remarquer avec autant d’élévation que de justesse en rappelant la séance de 1861 où, sous l’inspiration de Cavour, le principe de la liberté religieuse avait été proclamé. « Alors, disait-il, notre royaume naissait à peine ; nous n’avions pas été encore reconnus par toutes les puissances de l’Europe. Les conspirations de la cour de Rome, forte de l’appui de l’intervention étrangère, étaient d’autant plus périlleuses et redoutables. Eh bien ! voyez avec quel courage, avec quelle foi on parlait de la liberté de l’église, et on promettait de l’accorder pleine et entière aux applaudissemens de l’Europe ! Et aujourd’hui que nous sommes maîtres de nous-mêmes, que nous n’avons plus rien à craindre que de nos propres dissentimens et de nos incertitudes, on exhume des doctrines abandonnées, on se met l’esprit à la torture,… on en vient à croire que le droit commun ne suffit plus, que toutes les lois qu’on peut faire dans un pays libre ne suffisent pas pour sauver l’état des menées de la cour de Rome,