Page:Revue des Deux Mondes - 1867 - tome 72.djvu/762

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

épargnée. Lord Dufferin me fait l’honneur de citer le passage suivant de mon Économie rurale de l’Irlande en 1853 : « Pour la petite propriété, dont beaucoup d’excellens esprits, entre autres M. Stuart Mill, dans ses Principes d’économie politique, ont réclamé l’introduction en Irlande, elle me paraît beaucoup moins désirable. Probablement l’Irlande arrivera quelque jour à la petite propriété, c’est sa tendance naturelle ; mais pour le moment la population rurale est trop pauvre, elle a besoin de gagner dans la culture de quoi devenir propriétaire ; il n’est pas dans son intérêt d’y songer auparavant. » Voilà, je crois, la vérité, aujourd’hui comme alors ; ce qu’il importe, c’est de rendre la condition des cultivateurs la meilleure possible ; la petite propriété viendra ensuite d’elle-même, et les propriétaires actuels auront un grand intérêt à la favoriser, car, partout où elle s’introduit, la valeur du sol monte.

L’Irlande possède d’ailleurs depuis 1849 un puissant instrument pour amener une transformation progressive de la propriété, c’est la cour pour la vente des domaines hypothèques. Cette cour fait vendre encore tous les ans pour 1 million sterling de propriétés, et depuis sa fondation elle en a vendu pour 750 millions de francs ; dans dix ans d’ici, il y en aura pour un milliard. Ce mode de liquidation est parfaitement légal et juste ; en même temps qu’il fait disparaître les charges accumulées sur le sol et qui en rendaient la possession nominale, il agit avec force dans le sens de la division. La plupart des propriétés vendues ont été partagées par lots ; ce n’est pas encore de la petite propriété, mais c’est de la propriété moyenne ; l’une mène à l’autre. Tout ce qu’on peut désirer en sus pour satisfaire dans la mesure du possible au vœu de M. Bright, c’est qu’il se forme des institutions de crédit ayant pour but de faciliter aux cultivateurs l’achat de petits domaines. Dans des proportions raisonnables, partielles, en ayant bien soin de tenir compte des circonstances locales, cette entreprise pourrait réussir sans le secours du gouvernement, et quelques succès, si restreints qu’ils fussent, pourraient suffire pour donner une impulsion qui grandirait avec le temps.

Il est un autre moyen de favoriser sans secousse la division du sol, c’est la loi de succession. Lord Dufferin en parle très peu, il partage sans doute les idées anglaises sur ce sujet. Ce qui peut être bon en Angleterre, où les mœurs sont en parfait accord avec la tradition, ne l’est pas au même degré pour l’Irlande. Le droit d’aînesse et les substitutions n’y sont pas défendus ; comme en Angleterre, par le sentiment public. L’exemple des mauvais effets que produit quelquefois notre loi de succession fournit aux Anglais de puissans argumens contre le principe du partage égal ; mais il n’est pas nécessaire d’aller aussi loin que notre code civil. Entre le radicalisme de notre législation et l’extrême opposé de la législation anglaise, on peut trouver plus d’un terme moyen. On peut ne partager les terres qu’entre les garçons à l’exclusion des filles, ce qui se fait déjà en Angleterre dans le comté de Kent, en vertu de