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l’ancienne coutume connue sous le nom de gavelkind ; on peut donner a l’allé un droit privilégié sur l’habitation et sur une part du domaine, sans exclure absolument ses co-héritiers, le tout, bien entendu, dans les successions ab intestat, car on peut laisser au père de famille le droit de disposer librement de ses biens par un acte de dernière volonté. Lord Dufferin va jusqu’à un certain point au-devant d’une réforme de la loi de Succession ; il paraît admettre ce que le grand agitateur O’Connell avait proposé autrefois, que, dans le cas où un landlord meurt sans testament, laissant à la fois des biens en Angleterre et en Irlande, la succession des biens anglais soit seule dévolue à l’aîné, et que le second des fils hérite des biens irlandais.

Cette disposition serait déjà un progrès ; elle tendrait à donner à la propriété irlandaise un caractère plus irlandais, elle diminuerait la plaie de l’absentéisme. Quelques pas de plus dans le sens du partage égal la compléteraient. Quand les Anglais parlent de notre loi de succession, ils la présentent toujours comme réduisant le sol en poussière. Son plus grand vice est en effet dans son action délétère sur la petite propriété. Par elle, les hectares deviennent des ares, le morcellement parcellaire n’a plus de limites ; mais, pour que cet effet se produise, il faut que le sol soit déjà très divisé. L’Irlande n’en est pas là ; la petite propriété y est à peu près inconnue ; ce qui domine, c’est la très grande propriété. Les terres de 10,000, 20,000, 30,000 hectares y sont encore assez communes malgré la cour des domaines hypothéqués, qui en a dépecé une partie, et une étendue de 500 à 1,000 hectares peut être considérée comme la moyenne. On n’a donc pas à craindre de longtemps les inconvéniens du partage égal. C’est ici l’inverse de ce qui arrive pour la culture, car l’Irlande souffre à la fois de deux extrêmes opposés, la division, de la culture et la concentration de la propriété.

Le second projet est fort connu de quiconque a un peu suivi l’histoire économique de l’Irlande, sous le nom de la fixité de tenure. Renouvelé et développé dans un écrit récent de M. Butt, il consiste à donner aux tenanciers irlandais des baux perpétuels ou à très longue échéance, à un taux fixé et déterminé par des officiers publics. M. Butt propose des baux de soixante-trois ans ; c’est encore, comme on voit, une forme d’expropriation. C’est exclure le propriétaire de tout intérêt dans l’amélioration du sol. Or il est constaté par des documens officiels que, depuis dix-huit ans, les propriétaires ont emprunté plus de 1,800,000 liv. sterl. (45 millions de fr.) pour les employer en drainages et bâtimens, et cette somme est bien loin de représenter tous leurs efforts. « Moi-même, dit lord Dufferin, j’ai dépensé plus de 10,000 liv. sterl. (250,000 fr.j) et mes voisins en ont fait autant. » Le remède passe d’ailleurs à côté du mal tant que la population rurale surabonde ; ces fermes seraient bientôt divisées, et de nouveaux tenanciers auraient à payer aux anciens des rentes excessives. Interdirait-on les sous-locations ? — Mais