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la vérité, car, dans les temps même où la royauté semble posséder la plénitude de son prestige, les résistances furent fréquentes et plus d’une fois scellées par le sang. La guerre des camisards ne fut pas la première protestation qu’eût suscitée la violation du droit au sein de cette société appauvrie et décimée. Rétablir la vérité sur ce point-là, c’est relever l’honneur du pays, puisqu’il est moins humiliant d’être vaincu par le despotisme que de s’y résigner sans lutte.

Plus de trente années avant qu’un garçon boulanger eût détruit une armée française dans les Cévennes, un autre partisan avait dirigé dans les landes de la Gascogne un soulèvement provoqué par l’introduction de la gabelle dans ces contrées. Maître un moment de plusieurs villes importantes, un vieux soldat du nom de Audijos, à la tête de plusieurs milliers d’insurgés, tint deux ans la campagne, malgré les forces imposantes envoyées pour le réduire. Les sympathies universelles des populations protégèrent Audijos contre toutes les poursuites, quoique bon nombre des siens fussent journellement roués ou pendus à Dax, à Tartas, à Saint-Sever. Dans l’impossibilité de faire tomber sa tête, le gouvernement estima habile d’offrir à ce chef intrépide, comme il dut le faire plus tard pour Jean Cavalier, des lettres d’abolition avec un emploi hors du royaume[1]. Deux années auparavant, le comté de Boulogne s’était trouvé en feu par suite d’une taxe de 40,000 livres imposée en dépit des privilèges reconnus aux Boulonnais. « C’était une très petite somme, nous dit Louis XIV lui-même dans ses mémoires, et je la leur imposai seulement pour leur faire connaître que j’en avais le pouvoir et le droit. » Le roi ajoute que, des rassemblemens armés s’étant formés en plusieurs lieux, il dut envoyer des troupes pour réprimer l’insurrection ; il fit ensuite condamner à mort et envoyer aux galères ceux qui furent pris les armes à la main, « croyant devoir en cette circonstance, ajoute le monarque dans ses conseils à son fils, suivre ma raison plutôt que mon inclination[2]. » Il dut en effet en coûter beaucoup au cœur du prince, car cette révolte, secrètement fomentée par la noblesse, comme nous l’apprend Louis XIV, fut réprimée avec une rigueur terrible. Un document de l’existence duquel on douterait, s’il n’avait une date certaine, prescrivit avant toute information judiciaire à un maître des requêtes envoyé sur les lieux de punir au moins douze cents personnes, chiffre minimum, et de choisir les prisonniers parmi les hommes les plus valides, de manière qu’ils pussent faire un service utile sur les galères de sa majesté, négligées par le

  1. Correspondance administrative sous le règne de Louis XIV, t. III. — Voir les cinquante-sept lettres adressées par Pellat à Colbert du 26 mai 1664 au 8 février 1667.
  2. Instruction du dauphin. Œuvres de Louis XIV, t. Ier, p. 213.