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Page:Revue des Deux Mondes - 1867 - tome 72.djvu/860

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sauvage. Sur les rochers de Penmarch, dans cette contrée où une industrie homicide ajoutait souvent aux périls des vents et des flots, l’imagination populaire s’était complu à tracer le programme d’une société idéale telle que ce peuple enfant la pouvait rêver. Dans le code paysan,. dont M. de Chaulnes se hâta d’envoyer une copie à Versailles à l’appui de ses assertions outrageantes pour la noblesse bretonne, les aspirations du communisme moderne se mêlent à des idées découlant d’une source toute différente. C’est une étrange mixture de naïveté et de convoitise, un plan de guerre contre les nobles, dont la principale disposition consiste à épouser leurs filles afin d’être anobli par elles[1].

  1. La copie du code paysan adressée à Colbert ne se trouve pas dans les anciens volumes verts de la bibliothèque impériale ; mais par l’intervention de M. Gaultier du Mottay, M. de La Borderie a pu en obtenir une autre, et je reproduis ici textuellement ce curieux spécimen des égaremens de l’esprit humain chez un peuple honnête.
    Copie du règlement fait par les habitans des quatorze paroisses unies du pays armorique, situé depuis Douarnenez jusqu’à Concarneau, pour être observé inviolablement entre eux jusqu’à la Saint-Michel prochaine, sous peine de TORREBEN (traduisez : casse-tête).
    1. Que lesdites quatorze paroisses, unies ensemble pour la liberté de la province, députeront six des plus notables de leurs paroisses aux états prochains pour déduire les raisons de leur soulèvement, lesquels seront défrayés aux dépens de leurs communautés, qui leur fourniront à chacun un bonnet bleu et une camisole rouge, un haut-de-chausses bleu, avec la veste et l’équipage convenable à leurs qualités.
    2. Qu’ils (les habitans des quatorze paroisses unies) mettront les armes bas et cesseront tout acte d’hostilité jusques audit temps (de la Saint-Michel 1675), par une grâce spéciale qu’ils font aux gentilshommes, qu’ils feront sommer de retourner dans leurs maisons de campagne au plus tôt, faute de quoi ils seront déchus de ladite grâce.
    3. Que défense soit faite de sonner le tocsin et de faire assemblée d’hommes armés sans le consentement universel de ladite union, à peine aux délinquans d’être pendus aux clochers, ou passés par les armes.
    4. Que les droits de champart et corvée, prétendus par lesdits gentilshommes, seront abolis comme une violation de la liberté armorique.
    5. Que pour confirmer la paix et la concorde entre les gentilshommes et nobles habitans desdites paroisses, il se fera des mariages entre eux, à condition que les filles nobles choisiront leurs maris de condition commune qu’elles anobliront et leur postérité, qui partagera également les biens de leurs successions.
    6. Il est défendu, à peine d’être passé par la fourche, de donner retraite à la gabelle et à ses enfans, et de leur fournir ni à manger ni aucune commodité ; mais au contraire il est enjoint de tirer sur elle comme sur un chien enragé.
    7. Qu’il ne se lèvera, pour tout droit, que cent sols par barrique de vin, et un écu pour celui du cru de la province, à condition que les hôtes et cabaretiers ne pourront vendre l’un que cinq sols, et l’autre que trois sols la pinte.
    8. Que l’argent des fouages anciens sera employé pour acheter du tabac, qui sera distribué avec le pain bénit aux messes paroissiales, pour la satisfaction des paroissiens.
    9. Que les recteurs, curés et prêtres seront gagés pour le service de leurs paroissiens, sans qu’ils puissent prétendre aucun droit de dime, ni aucun autre salaire pour toutes leurs fonctions curiales.
    10. Que la justice sera exercée par gens capables choisis par les nobles habitans, qui seront gagés avec leurs greffiers, sans qu’ils puissent prétendre rien des parties pour leurs vacations, sous peine de punition, — et que le papier timbré sera en exécration à eux et à leur postérité, pour ce que tous les actes qui ont été passés sur papier timbré seront écrits, en autre papier et seront par après brûlés pour en effacer entièrement la mémoire.
    11. Que la chasse sera défendue à qui que ce soit depuis le premier jour de mars jusqu’à la mi-septembre, et que fuies et colombiers seront rasés, et permis de tirer sur les pigeons en campagne.
    12. Qu’il sera loisible d’aller aux moulins que l’on voudra, et que les meuniers seront contraints de rendre la farine au poids du blé.
    13. Que la ville de Quimper et autres adjacentes seront contraintes par la force des armes d’approuver et ratifier le présent règlement, à peine d’être déclarées ennemies de la liberté armorique, et les habitans punis où ils seront rencontrés ; défense de leur porter aucune denrée ni marchandise jusqu’à ce qu’ils aient satisfait, sous peine de torrében.
    14. Que le présent règlement sera lu et publié aux prônes des grandes messes et par tous les carrefours et aux paroisses, et affiché aux croix qui seront posées.
    Signé TORREBEN et les habitans.