Page:Revue des Deux Mondes - 1867 - tome 72.djvu/942

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

retranchemens pour retirer des flammes les corps de leurs ennemis tombés.

L’échec était grave ; mais les récriminations, les disputes, les haines auxquelles il donna naissance entre les chefs alliés, furent bien plus graves encore au point de vue militaire. Le général Florès, mécontent du rôle secondaire que lui avaient fait jouer les chefs alliés, quitta brusquement l’armée, et revint à Montevideo se consoler par l’exercice de la dictature de tous les mécomptes éprouvés au camp. Le président Mitre, voilant sa personne sous le fier pseudonyme d’Orion, daigna prendre le public pour confident, et, dans ses lettres à la Tribuna de Buenos-Ayres, expliqua combien il était déplorable que son plan de campagne « napoléonien » n’eût pas été compris par les généraux qui devaient le seconder. De leur côté, ceux-ci se plaignirent à leur gouvernement des façons despotiques du président argentin. Ainsi que le président du conseil des ministres, M. Zaccarias, l’avoua lui-même en pleine chambre à Rio-de-Janeiro, toute action commune entre les chefs alliés était devenue impossible : la flotte refusait de coopérer avec les troupes de terre ; les impériaux, les Argentins, se reprochaient mutuellement le désastre. Il fallut que le Brésil confiât la direction de ses troupes à des hommes nouveaux. Tandis que le président Mitre gardait le titre de général en chef, que lui avait conféré le traité de la triple alliance, le maréchal brésilien Polydoro fut remplacé par le vieux marquis de Caxias, l’ancien adversaire de Garibaldi dans les troubles de Rio-Grande-do-Sul, et le baron de Tamandaré céda le commandement de la flotte à l’amiral Ignazio.

Malheureusement pour leur gloire, les nouveaux titulaires avaient à peine eu le temps de s’occuper de la réorganisation des forces qui leur étaient confiées, qu’une série de contre-temps vint entraver leur œuvre. D’abord une insurrection redoutable éclata dans les provinces centrales de la république argentine, et, pour en triompher, le gouvernement de Buenos-Ayres fut obligé de rappeler en toute hâte les quatre ou cinq mille Argentins qui restaient encore dans le camp de Curuzu. Le marquis de Caxias dut s’en féliciter, car le président Mitre partait en même temps que ses troupes et lui laissait l’initiative des opérations militaires ; mais les soldats qui s’éloignaient étaient les meilleurs de l’armée, et dans les combats avaient toujours marché à l’avant-garde contre les Paraguayens. Bientôt après survint le fléau du choléra, qui réduisit l’effectif des troupes beaucoup plus encore que ne l’avait fait le départ du contingent de Buenos-Ayres. L’insalubrité naturelle des marécages environnans s’était encore accrue par suite de l’incurie des troupes et de leur ignorance absolue des règles de l’hygiène : toutes les