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Bourbon. Cette personne, très belle et fière de son enfant, le promenait partout avec une sorte d’orgueil naïf, sans dissimuler l’espérance de le voir légitimé par son père. Mme de Pompadour, tenue au courant de cette intrigue, voulut voir la mère et le fils, et elle alla au bois de Boulogne pour les rencontrer. Elle trembla un instant, mais elle ne tarda pas à se rassurer sur les suites possibles de l’aventure. Mlle de Romans fut mariée à un homme qui la rendit fort malheureuse, et son fils lui fut enlevé pour être mis au collège de Pontlevoy. C’était toujours la même histoire. Pour prendre Mlle de Romans ou toute autre, il aurait fallu que Louis XV eût le courage de manifester une résolution, « de former un autre établissement et de se donner en spectacle au public par un changement aussi grand de décoration. » C’est là que l’attendait Mme de Pompadour. Ainsi, en enveloppant ce prince dissolu et apathique, en l’amollissant dans les corruptions faciles au lieu de chercher à le relever, elle gardait son empire sur lui; elle se faisait complaisante pour régner. Le roi, il est vrai, cherchait quelquefois à secouer le joug; il finissait par se lasser ou il était pris de remords, et dans ces momens-là il laissait entrevoir presque une rupture. Il ne tardait pas à retomber sous la tyrannie invisible et énervante de l’habitude, personnifiée dans une femme insinuante et habile.

Disputer le roi à des rivales, l’enchaîner, l’assoupir dans une liaison complaisante, ce fut donc le premier souci de Mme de Pompadour; le disputer à la politique, aux ministres, à une cour visiblement ennemie, à une famille royale hostile, ce fut l’autre grand objet de sa diplomatie, et ici elle avait contre elle son origine, sa naissance vulgaire; son élévation froissait l’orgueil de cette noblesse frivole qui se croyait en droit de suffire au service et même aux plaisirs du roi ; elle révoltait tout ce monde des Maurepas, des Richelieu, qui n’étaient pas précisément difficiles en fait de mœurs, mais qui ne pouvaient supporter l’idée de voir une petite bourgeoise se hausser au rang de favorite, qui se consolaient d’ailleurs gaîment par la raillerie, par des bons mots et des chansons. Du premier jour il y eut une opposition contre Mme de Pompadour, opposition qui ne se cachait guère, qui se manifestait de toute façon. La lutte fut vive, et elle dura longtemps. Mme de Pompadour eut assez d’habileté pour ne rien brusquer avec la famille royale, pour dévorer même plus d’une mortification qu’on ne manquait pas de lui infliger. Du côté des ministres, elle poussa la guerre avec une souple ténacité, et une de ses victoires les plus décisives fut la chute de Maurepas, qu’elle accusait de laisser circuler toute sorte de chansons contre elle, si même il n’en était pas l’auteur. Maurepas, ce petit-maître de la politique, résista quelques années, grâce à la faveur du roi, qui était accoutumé à lui, qui l’aimait pour la facilité de son travail, pour son esprit délié, pour ses bons mots. Plus que tout autre, il se sentait en position