Page:Revue des Deux Mondes - 1868 - tome 73.djvu/255

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de soutenir cette lutte et même de traiter quelquefois de haut la favorite. Volontiers il avait avec elle des façons de grand seigneur et savait être au besoin galamment impertinent. Le jour vint cependant où un quatrain trop cruel mit à bout la marquise en faisant allusion à une infirmité féminine qui n’était pas précisément de son emploi. La marquise courut chez le ministre, et entre eux s’échangèrent ces paroles pleines de menaces à peine voilées par la politesse. « On ne prétendra pas, dit Mme de Pompadour, que j’envoie chercher les ministres ; je les viens chercher. Quand donc saurez-vous les auteurs des chansons ? — Quand je le saurai, madame, répliqua le ministre, je le dirai au roi. — Vous faites peu de cas, monsieur, des maîtresses du roi. — Je les ai toujours respectées, madame, de quelque espèce qu’elles fussent, » Le mot était cavalièrement lancé et acheva d’exaspérer la marquise. Ce qu’il y a de curieux, c’est que dans sa fureur elle prétendait que sa vie était menacée, que le ministre voulait l’empoisonner, comme on s’était amusé à dire qu’il avait empoisonné Mme de Châteauroux. Le roi n’y put tenir, et Maurepas fut exilé à Bourges. Il avait été précédé dans la disgrâce par le contrôleur-général Orry, par le marquis d’Argenson, le rugueux et patriote ministre des affaires étrangères; il fut suivi par le comte d’Argenson, par M. de Machault lui-même, qui, après avoir été du parti de la favorite, s’était tourné contre elle. Ils y passèrent tous, et Mme de Pompadour resta seule souveraine et dominatrice avec des ministres de son choix, Bernis, puis le duc de Choiseul.

Destinée étrange que celle de ces personnages irréguliers qui s’appellent des favoris ou des favorites! Ils sont fatalement poussés à la guerre contre tout ce qui ressemble à une opposition. Il faut, sous peine de disparaître, qu’ils soient tout, qu’ils mettent la main sur tout. Soit par passion de dominer, soit dans l’intérêt de leur sûreté, ils sont conduits à envahir toute la politique d’un pays; mais quelle était la politique de la favorite de Louis XV? Mme de Pompadour faisait évidemment de la politique comme elle organisait les spectacles des petits cabinets, comme elle donnait des maîtresses de hasard à son royal amant, uniquement dans la vue de prolonger sa capricieuse domination. Elle portait dans les affaires de la France la vanité, la frivolité, les petites préoccupations d’une femme asservie à des passions vulgaires. Elle a été mêlée à deux ou trois grandes questions qui se sont agitées autour d’elle, et rien d’autre n’apparaît qu’un mobile tout personnel.

Mme de Pompadour, je le sais bien, s’est fait une sorte de popularité philosophique en contribuant à l’expulsion des jésuites. Il n’y a pas de quoi la transformer en politique réformatrice-et libérale. Si les jésuites avaient voulu la soutenir, elle les aurait défendus. Si elle se prêta au grand coup monté contre eux, c’est qu’ils étaient les partisans du dauphin, qui la détestait; c’est qu’ils avaient l’appui de l’archevêque