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rieur, surtout en connaissance, ce qui résistait ou échappait aux causes d’altération qui nous atteignent de toutes parts, était divin, c’est-à-dire de la nature des dieux. Aussi l’âme, pour ceux des philosophes qui la croyaient immortelle, était-elle plus réellement, plus littéralement divine que nous ne l’entendons quand nous l’appelons encore un rayon divin. Est Deus in nobis; ces mots n’étaient pas une manière de parler. On pourrait trouver encore aujourd’hui des traces de cette acception du mot divinité. D’abord il n’est pas d’esprit religieux qui ne croie communicable quelque chose de la nature divine. On pourrait citer aussi de très respectables théologiens de l’école de Néander qui entendent le dogme de la divinité du Christ dans un sens tel que le messie serait divin plutôt qu’il ne serait Dieu, ou qu’il serait un dieu, et non pas Dieu même. C’est par suite de cette manière de concevoir la divinité comme une qualité plutôt que comme une substance que souvent les philosophes de l’antiquité ne se faisaient pas scrupule de parler des dieux comme s’il y en avait plusieurs. Voici en quoi ils redevenaient monothéistes. En contemplant l’univers, en réfléchissant sur la nature des choses, ils étaient conduits à concevoir soit un premier principe, soit une cause première, soit une intelligence parfaite, soit un artiste souverain, un démiurge, et sous l’un de ces noms un seul et même être, un être nécessairement unique ou qui n’avait point d’égal. L’unité en était tellement l’attribut qu’elle en vint à le définir à elle seule, et qu’après avoir été désigné sous le nom du Bien, il l’a été définitivement sous le titre exclusif de l’Un. Or il n’est aucune de ces appellations que la théodicée moderne n’ait acceptée, elles impliquent toutes le monothéisme, et c’est pourquoi il est juste de, dire que les vrais sages de l’antiquité ont cru en un seul Dieu aussi bien que les grands philosophes des âges plus récens.

Par tous ces motifs, il ne faudrait pas s’étonner si Platon avait par momens admis l’existence distincte et substantielle des idées éternelles. On ne voit pas que, lorsqu’il est dogmatique, il se rende de ses pensées un compte aussi rigoureux qu’il l’exige de celles des autres lorsqu’il est critique. Il suffit qu’on ait longtemps disputé sur le sens de la théorie des idées, qu’on en dispute encore, pour prouver qu’il n’a pas lui-même su ou voulu rien affirmer d’absolu et de démonstratif. On sait quelles attaques réitérées Aristote a dirigées contre sa doctrine. Elles sont telles qu’il a été accusé de ne l’avoir! pas entendue ou de n’avoir pas voulu l’entendre, tandis qu’un juge habile, M. Ravaisson, reprend ces objections, y joint les siennes, et ne paraît pas éloigné de croire que Platon ne s’est pas entendu lui-même. Ses nouveaux interprètes jugent diversement de ce qu’il a voulu dire. M. Grote et M. Mill ne sont pas dispo-