Page:Revue des Deux Mondes - 1868 - tome 73.djvu/979

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

arrivée ; mais la mise en vigueur des institutions de Java demandait des capitaux considérables, et l’état présent comme l’avenir de la Cochinchine étaient trop peu connus en France et à l’étranger pour qu’on pût faire un appel de fonds et créer une compagnie d’exploitation générale capable d’encourager l’agriculture par des prêts à longue échéance. Tout au plus pouvait-on espérer d’organiser une petite compagnie financière à laquelle on eût affermé les impôts qui se payaient alors en nature, et qu’elle eût remboursés en argent. En Asie, on n’hésite pas à louer les impôts indirects, comme ceux sur l’opium et le sel, pour éviter les frais considérables de gérance ; mais confier à une ferme le soin de faire rentrer des revenus directs, c’eût été revenir aux mauvais jours et aux gabelles de l’ancien régime colonial, créer un état dans l’état et surtout engager l’avenir. D’ailleurs les troubles du pays auraient rendu le fonctionnement de cette régie des plus difficiles. La perception, le mesurage et l’emmagasinage des denrées dans des lieux qu’il eût fallu garder par des forces nombreuses seraient venus encore compliquer notre position mal assise.

Les idées s’arrêtèrent un instant à la forme du gouvernement au deuxième degré. Le pays eût gardé ses lois, ses coutumes, ses impôts ordinaires, avec ses propres mandarins, surveillés par des résidens français et appuyés par nos baïonnettes. En conservant à la nation sa tête et en réservant des places à l’ambition personnelle des Annamites instruits, on espérait s’attacher plus facilement les masses et les diriger sans secousse ; mais le mode de recrutement des fonctionnaires cochinchinois, copié sur celui de la Chine, offrait peu de garanties. On sait en effet que les candidats doivent, devant des inspecteurs, dans des examens oraux et écrits, faire preuve de mémoire plutôt que d’intelligence. L’instruction publique est restée stationnaire depuis des siècles dans l’extrême Asie ; on n’apprend, pour les réciter, que des faits, des contes, des dates, des axiomes religieux ou philosophiques. La carrière ne commence pour les mandarins que lorsqu’ils sont reçus lettrés. Le bon sens et le tact politique leur viennent plus tard sans doute au frottement des hommes et des affaires ; mais ils restent toute leur vie emprisonnés en quelque sorte dans un milieu d’idées particulières qui les rendent incapables de s’assimiler nos connaissances et nos progrès. Leur cerveau est comme barré, leur esprit atrophié pour des notions que tout Européen comprend et explique couramment. La langue et l’écriture phonétiques contribuent à les maintenir dans ce cercle qu’ils ne peuvent franchir ; les sciences morales ou naturelles et les mathématiques restent lettre morte pour eux.

Nous laisser guider par les lettrés annamites pour assurée notre