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pour 100. En moyenne, l’on ne saurait évaluer à moins de 100 pour 100 l’excédant annuel des naissances, à moins de 35 pour 1,000 l’accroissement régulier de la population de douze en douze mois : le doublement du nombre des habitans se fait donc en vingt-cinq ans. Le recensement de 1825, opéré quelque temps après la proclamation de l’indépendance, avait trouvé dans la république un peu plus de 500,000 âmes ; le chiffre actuel doit être supérieur à 1,200,000. Malheureusement, il faut le dire, la fusion des races est encore bien loin d’être complète au Guatemala, et les Indiens, deux ou trois fois plus nombreux que les blancs d’origine espagnole, sont toujours considérés comme des êtres inférieurs, n’ayant guère du citoyen qu’un vain titre ; la plupart d’entre eux ne possèdent pas même le sol qu’ils cultivent, et sont tenus dans une sorte d’esclavage par les planteurs et les trafiquans qui leur ont fait des avances. Pauvres descendans de la race conquise, ils se distinguent de leurs conquérans non-seulement par la différence des traits et la nuance de la peau, mais aussi par la tristesse et l’humble douceur du regard. Ils habitent des villages séparés, d’ailleurs bien plus beaux que les cités brûlantes et poudreuses des blancs, car toutes leurs cabanes se groupent pittoresquement à l’ombre de grands massifs de verdure. La distinction si tranchée qui existe entre les deux races du Guatemala constitue certainement le danger le plus redoutable pour la paix et la prospérité de la république : c’est en réalité à cause de cet antagonisme des Indiens et des Espagnols que la guerre civile a si longtemps régné dans le pays ; c’est à cause des haines de vaincus à conquérans que Rafaël Carrera, le peon inculte, a pu devenir l’oppresseur de son pays et porter une guerre féroce dans les contrées voisines. L’exemple du Mexique est pourtant de nature à éclairer les citoyens intelligens du Guatemala. Ils connaissent le remède : c’est par les écoles aussi bien que par les mariages qu’ils pourront unir les deux races différentes en un même corps de nation.

Les républiques voisines, le Salvador, le Honduras, le Nicaragua, le Costa-Rica, n’ont guère à souffrir depuis longtemps de cette fatale séparation entre les descendans des maîtres et ceux des esclaves. Dans ces contrées, les Indiens, relativement beaucoup moins nombreux que dans le Guatemala, se sont graduellement mélangés avec les blancs, et maintenant la population tout entière forme une masse à peu près homogène. La république du Salvador, qui par sa position est la moins favorisée de l’Amérique centrale, car elle n’a point de débouchés vers l’Atlantique, doit à l’intime fusion des races qui la peuplent d’être l’état le plus actif, le plus industrieux, le plus remarquable par l’initiative de ses habitans. C’est là que se défrichent le plus de terrains vierges et se construisent le plus de