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du combat. Cette situation n’est point défavorable aux progrès de la liberté de la presse. Comme toujours, les choses tourneront à l’inverse des prévisions, de ceux qui se fient à l’excès des précautions restrictives.

Mais les ennemis battus que nous ramenions devant nous n’ont pas reculé sans nous braver par l’insulte. Ils ont eu l’incident La Varenne et Kervéguen, exploité par le Pays, journal de l’empire. Ils ont osé accuser les principaux organes de la presse d’avoir épousé dans un intérêt de cupidité la cause de gouvernemens étrangers. On n’a pas eu la pudeur de respecter un cadavre dans sa tombe à peine fermée. On a violé les secrets d’un testament, et on les a falsifiés. Nous qui sommes de ceux qui ont demandé à la chambre l’autorisation de poursuivre le député de Toulon, M. Philippe-Auguste de Kervéguen, en police correctionnelle, nous sommes obligés d’apporter dans l’appréciation de la position de ce député une réserve qui sera comprise. M. de La Varenne, commis voyageur de M. Rattazzi en commerce de décorations et d’abonnemens de journaux, nous a toujours été inconnu. Les traducteurs imbéciles de M. de Kervéguen ont pris pour le Siècle le journal officiel de Sicile, fondé par M. Crispi, et le même M. Crispi s’est félicité, dans son entreprise de Sicile, d’avoir eu l’appui de la presse libérale française, ce que nous n’avons pas de peine à comprendre ; mais le piquant comique des révélations, c’est que le ridicule des trafics d’argent ou de décorations ne soit tombé que sur des écrivains de la presse officieuse. La digne susceptibilité de M. Boittelle a fait justice de l’inconcevable inconvenance de M. Rattazzi confiant à un intermédiaire interlope la remise d’une commanderie étrangère à un haut fonctionnaire français. Qu’est-il donc résulté de ce scandale ? L’outrage et le ridicule ont rejailli dans les rangs de ceux qui avaient ourdi cette méprisable conspiration contre la presse libérale.

Ce vilain épisode et une certaine malveillance préventive que les journaux ont rencontrée dans l’esprit public nous paraissent contenir des enseignemens dont une partie de la presse libérale fera bien de profiter dans l’avenir. Plusieurs journaux, qui eussent dû être libéraux, ont pratiqué dans les affaires d’Italie et de l’Allemagne une détestable tactique. Quoiqu’ils eussent des programmes libéraux, ils subordonnaient et ajournaient les revendications libérales à l’intérieur aux entreprises de la politique extérieure ; ils semblaient prendre leur parti de la dictature intérieure, ils étaient patiens et accommodans avec elle en faveur de l’illusion de perturbations générales qui changeraient l’état de l’Europe, qui accroîtraient le territoire de la France, et qui ont fini au contraire par exposer le pays à des combinaisons qui lui ont infligé des sacrifices immenses ; ils prenaient en raillerie ceux qui donnaient leur première sollicitude au progrès des institutions intérieures, et qui dans le calcul des chances des affaires étrangères démêlaient d’avance et défendaient avant tout