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Anglais, élevé au milieu des agitations de la vie publique, ne devrait pas ignorer que la compétition du pouvoir est la condition nécessaire du jeu des institutions représentatives, et, pour ainsi parler, l’âme elle-même de la liberté. On peut en dire ce qu’un grand orateur disait naguère de la liberté de la presse : « elle ne fait pas l’opinion publique, mais elle fait qu’il y en a une. » Elle l’empêche de s’endormir et de rester stagnante, elle conserve l’unité et elle entretient la vie dans les membres de ce grand corps flottant et dispersé. C’est elle qui, en stimulant tous les jours les convictions des citoyens, oblige la conscience publique à s’interroger, à se connaître, à se rendre compte de ce qu’elle pense et de ce qu’elle veut ; c’est elle qui leur enseigne à sortir de leur faiblesse individuelle et à trouver dans l’association de leurs intérêts communs la force qui leur manque isolément. Ces rapprochemens mêmes des opinions hostiles rassemblées sous la même bannière contre un ennemi commun, ces mutuelles concessions qu’elles doivent se faire pour rester unies, ce sacrifice raisonnable de leurs prédilections particulières à une nécessité d’un ordre supérieur, cette discipline qu’elles subissent afin d’arriver plus vite au but qu’elles se proposent, ce sont là autant de garanties sérieuses pour l’exercice pacifique et régulier de la liberté. Sous une apparence de désordre et de guerre civile, l’organisation des partis et les luttes permanentes qu’ils se livrent sont encore le meilleur moyen d’assurer à un pays libre la sécurité, l’union et la paix. S’imagine-t-on par hasard que la bonne harmonie serait plus grande dans les assemblées souveraines, si les représentans de chacune des opinions qui se combattent dans le pays y arrivaient la tête haute, résolus à ne rien céder de leurs convictions personnelles et à ne rien abdiquer des prétentions de leur parti ? C’est alors que le gouvernement représentatif serait regardé avec justice comme un état d’anarchie et d’impuissance. Tandis que le pouvoir s’épuiserait dans des troubles stériles, le peuple apprendrait à mépriser ses institutions et à négliger ses affaires. Le gouvernement représentatif manquerait à son objet même ; ce ne serait plus qu’une vaine apparence qu’il vaudrait autant supprimer.

Gardons-nous donc de proscrire ces luttes de partis et d’influences dont le mouvement salutaire fait la force et la grandeur des pays libres. Il est fort beau assurément de rêver à quelque Salente parlementaire où le peuple saurait exercer ses droits sans violence, et où les opinions les plus diverses pourraient s’accorder sans discussion ; en pratique, cet idéal admirable ne serait pas autre chose que l’universelle indifférence et l’asservissement universel. Partout où il existe un corps électoral et une nation qui se gouverne