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s’achemine l’univers? Pouvons-nous nous flatter d’avoir à notre disposition tous les élémens nécessaires pour le concevoir? Nous pouvons bien dire, en nous reportant à nos trois ordres de transformations, que le travail effectué par les corps en mouvement tend de plus en plus à se convertir en chaleur, c’est-à-dire à passer des masses visibles aux masses invisibles; nous pouvons bien dire que la chaleur tendant constamment à passer des corps plus chauds sur les corps plus froids, et par conséquent à rendre les températures égales de part et d’autre, il s’établira un équilibre déterminé entre la chaleur rayonnant dans l’éther et la chaleur qui se trouve dans les corps; nous pouvons bien dire enfin que les molécules des corps tendront à prendre une disposition telle que, eu égard à la température régnante, la disgrégation totale soit aussi grande que possible. Tout cela ne définit pas complètement l’état dont nous parlons, parce que nous ne connaissons pas les lois mêmes de la constitution moléculaire. Qu’est-ce qui fait qu’un corps passe, dans certaines conditions fixes, de l’état gazeux à l’état liquide, de l’état liquide à l’état solide? Qu’est-ce qui maintient la cohésion d’un corps? Qu’est-ce qui détermine les différentes combinaisons chimiques? On soupçonne bien qu’il y a une formule générale qui, appliquée à l’atome élémentaire, pourrait le suivre dans les systèmes variés où il s’engage et expliquer les principales propriétés des molécules et des corps : la gravité, la cohésion, l’affinité chimique, ressortiraient, comme des termes distincts, de cette formule générale; mais une pareille formule, quoique cherchée et même entrevue par de hardis géomètres, n’est point encore en notre possession. Or il faudrait l’avoir et l’introduire dans nos données, si nous voulions essayer de nous représenter avec quelque précision la forme que pourrait affecter l’univers parvenu à son maximum d’entropie. Nous voyons seulement que les changemens qui s’accumulent autour de nous acheminent le monde vers un état définitif. Ce qu’il faudrait de temps pour marquer les étapes du chemin parcouru peut à peine s’exprimer à l’aide des termes dont nous disposons. Dans une pareille étape, un changement léger de l’orbite des planètes serait un point imperceptible, et le plus léger changement des orbites planétaires demande lui-même des périodes dans lesquelles la durée des temps historiques est, pour ainsi dire, comme si elle n’était pas. Ce n’en est pas moins une conception de haute conséquence que celle qui nous montre le sens déterminé dans lequel s’accomplissent les changemens de l’univers. L’esprit se trouve ainsi reporté vers les éternels problèmes qu’agitent les philosophies humaines. Quelle est cette fin que nous apercevons à la limite des temps? Quelle corrélation a-t-elle avec l’origine du monde?