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le lien qui les unit paraît se rompre, enfin le style, quoique non dépourvu de grandes qualités, n’a ni les agrémens, ni l’exacte propriété, ni la clarté limpide qui aujourd’hui séduisent un lecteur. Bref, tout en admirant, tout en prisant aussi haut qu’il soit possible cette excellente histoire, nous n’oserions en conseiller la lecture à tout le monde.

Ce n’est donc pas encore là ce complément aux mémoires de Joinville qu’on cherche après les avoir lus. Il faudrait le même fond sous une forme plus engageante, moins de développemens, plus d’unité de composition, quelque chose en un mot de plus facile à lire et qui fît à peu près pour Lenain de Tillemont ce que M. de Wailly vient de faire pour le sire de Joinville. Eh bien! ce livre existe : une histoire de saint Louis a paru récemment en deux volumes au lieu de six, sans obscurités ni longueurs, empreinte de l’esprit et des principes critiques de Lenain de Tillemont, puisée comme la sienne directement aux sources et remarquablement complète malgré sa concision. Devant de tels mérites, l’Académie française ne pouvait guère rester indifférente, et l’auteur, M. Félix Faure, est devenu l’an passé un de ses lauréats dans un de ses plus sérieux concours. Si tout ce qu’il y a dans cet ouvrage d’exactitude et de méthode, de judicieux esprit et de savoir, d’intelligence des faits, des passions et des caractères, de vrai sens historique en un mot, était mis en valeur par un style non pas plus éclatant, plus à effet, — luxe inutile, — mais moins égal, moins tempéré, plus nerveux, plus original, le livre serait de premier ordre. Tel qu’il est, il n’en répond pas moins de la façon la plus heureuse, et comme à point nommé, à l’appel que provoque la lecture de Joinville. Pénétrez-vous de ces deux volumes, et tous les événemens du règne de saint Louis, y compris ceux dont la conduite et l’honneur appartiennent à sa mère, vont se ranger devant vous; vous les verrez, vous en suivrez la chaîne. Tous les points obscurs et douteux qui vous troublaient en écoutant le sénéchal sont éclaircis ou dissipés; vous connaissez l’époque, vous y vivez vous-même.


III.

Et maintenant ne vous en tenez pas là, retournez à Joinville, ne craignez pas de le relire; vous trouverez à ses paroles un sens et un charme nouveaux. L’intelligence d’un auteur ne s’acquiert pas seulement par l’étude de son vocabulaire, elle s’obtient aussi par l’étude de son temps. C’est la mémoire encore toute fraîche de cette histoire de M. Félix Faure que nous vous demandons de reprendre Joinville. Si perspicace que vous soyez, sans ce commentaire préa-