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lable, sans cette préparation, vous ne sentez qu’à moitié, vous comprenez à peine, aussi bien l’homme que son temps.

Et c’est dommage en vérité. Le temps qui a produit de tels hommes, les saint Louis et même les Joinville, est entre tous les siècles grand pour la France et pour l’humanité. Nous n’entendons par là rabaisser aucune autre époque et ne voulons troubler aucune admiration; mais, tout en respectant les renommées justement établies et sans nous engager dans de vains parallèles, n’y a-t-il pas lieu de soutenir certaines préséances et de mettre chacun à son rang? Quel est dans la série des siècles déjà parcourus par la France le temps de sa plus vraie grandeur? À ces mots, la grandeur de la France, tous les regards, nous le savons, se tournent comme d’eux-mêmes vers le XVIIe siècle. L’éclat de cette illustre époque, cette suite de succès si longtemps prolongés, interrompus si tard, cette gloire persévérante célébrée en si noble langage, ces mœurs polies, cette culture exquise, cette suprématie exercée sur l’Europe entière par l’empire de l’esprit plus encore que par les armes, tout cela, c’est de la grandeur sans doute. Bien des misères, bien des frivolités, de petites raisons, de petits intérêts, des passions mesquines, alors comme toujours, se mêlent aux plus belles choses; mais, à tout prendre, ce sont les idées nobles, les intérêts sérieux, les hautes vues qui prévalent. La France peut dire que ses affaires sont grandement conduites, et dans le champ de la pensée, dans les lettres surtout, jamais tant d’esprits hors de pair n’avaient à la fois brillé et enfanté des œuvres si bien construites pour braver les ravages du temps. Il n’y a donc rien d’étonnant que tout le monde se soit dit : Voilà le grand siècle par excellence! Mais dans cette grandeur tout est-il donc de bon aloi? Avant même que le majestueux monarque qui devait promulguer comme un dogme l’identité de sa personne et de l’état en fût venu à ces extrêmes conséquences du pouvoir absolu et les eût pratiquées au mépris de toute dignité humaine et au scandale de la raison, dans cette première moitié du siècle où toute indépendance n’est pas encore détruite, où quelque vie subsiste encore, époque agitée, remuante, presque libre, qui voit s’établir pied à pied, contre l’Europe conjurée, centre l’aveugle rage des discordes civiles, l’affranchissement, l’agrandissement, l’imité de la France, quel est au fond le but et le principe de tant d’efforts? Chez les meilleurs, l’ambition, la gloire, l’honneur purement humain; chez la plupart, l’esprit d’intrigue et de cour, les plus vulgaires convoitises; chez tous, de médiocres scrupules sur le choix des moyens. Les idées de justice et de droit, d’amour et de respect des hommes, ces conditions suprêmes de la vraie civilisation, ces dons sublimes du christianisme, en quelle estime les tient--