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part qu’ils viennent, élèvent le niveau moral dans la société tout entière ! La condition du peuple est encore malheureuse, mais chaque jour tout s’adoucit, aussi bien les impôts que les mœurs. Les tailles sont établies avec plus d’équité, perçues avec moins de rigueur; les corvées sont moins lourdes, les monnaies plus loyalement frappées; l’industrie dans les villes se développe et prospère; les campagnes sont calmes, les moissons respectées; on n’entend plus aux champs, surtout vers la fin du règne, ni colères ni murmures; chacun bénit l’auteur de cette paix profonde qui depuis trente ans se prolonge, vrai miracle en ces temps de luttes et d’oppression; la croisade elle-même, si mal qu’elle ait tourné et quelque deuil qu’elle ait jeté dans nombre de familles, n’est qu’un lointain désastre dont le pays lui-même n’est vraiment pas atteint : les trésors du clergé et l’épargne royale en ont seuls fait les frais; en un mot, tout respire l’espérance et la vie, tout est plein de promesses. Encore vingt ans de paix, c’est-à-dire vingt ans de vie du roi, et les progrès acquis allaient s’accroître encore dans de telles proportions que l’avenir du monde et la marche de notre histoire en pouvaient être entièrement transformés.

Le roi mort, le miracle cessait. Cette paix, son ouvrage, ne pouvait durer que par lui. C’est lui que ses voisins acceptaient comme arbitre pour éteindre leurs différends. Plus de conflits, il les étouffait tous. On peut dire qu’il supprimait la guerre par l’ascendant de sa vertu, et l’honneur de la France, loin d’en souffrir, n’avait jamais été commis à des mains plus jalouses. Autant ce cœur chrétien semblait humble, soumis et prêt à tout céder quand son propre intérêt était seul en question, autant il devenait fier et presque exigeant dès qu’il voyait en jeu ou l’intérêt de sa couronne ou son devoir de roi. Il avait foi en sa mission royale presque autant qu’aux saintes vérités, et se tenait pour obligé devant Dieu même à rendre son pays plus puissant et plus grand qu’il ne l’avait reçu. Non qu’il eût l’orgueilleuse passion d’élargir ses frontières, il songeait à les affermir. Ses conquêtes à lui étaient plus difficiles que les heureux envahissemens de son illustre aïeul : il voulait confirmer, consolider à force de sagesse et de modération ce qui avait été gagné par force et par adresse. De ces provinces confisquées, de ces acquisitions subites et par là même un peu précaires, il fit de solides possessions, de vraies provinces, nous dirions volontiers le cœur même de la France. Qu’il lui en ait coûté quelque chose, cela va sans dire; s’il n’eût rien concédé à son frère d’Angleterre dans le traité de 1258, il n’aurait pas scellé la paix qu’il convoitait, la paix selon son cœur, une paix franche et durable, une de ces paix qui n’humilient personne, les seules qui ne soient pas menteuses. C’était, quoi qu’on