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taire, toutes les formes de l’éloquence. Lorsque M. Thiers, M. Berryer, M. de Rémusat, M. Jules Favre, se rencontraient pour la première fois, il y a vingt ans et plus, dans les assemblées de la monarchie constitutionnelle ou de la république, marchant sous des drapeaux différens, qui leur aurait dit que le temps et les révolutions se chargeraient de les mettre d’accord, au moins sur un point, sur la nécessité de revendiquer en commun les franchises essentielles, la liberté du contrôle et des délibérations, le droit pour le pays de participer sérieusement, efficacement, à la direction de ses affaires ? Qui aurait dit surtout à M. Jules Favre qu’il briguerait un jour l’Académie, et à l’Académie qu’elle recevrait M. Jules Favre ? Les épreuves de la vie publique ont cette vertu de conciliation qui atténue les dissentimens, efface les aspérités et rapproche les hommes sans leur ôter l’indépendance de leurs opinions. Si l’Académie avait souvent de ces bonnes fortunes, elle resterait encore une institution féconde, elle jouerait encore son rôle dans la vie de notre société française, elle pourrait accepter bravement d’être traitée comme un refuge des vieux partis, de ces partis dont le rapporteur de la loi sur la presse au sénat, M. le président Devienne, pouvait dire hier qu’ils « ne vieillissent pas si vite, » non pas seulement parce que « le pouvoir perdu, c’est la patrie absente, » et que « l’exil n’admet pas la résignation, » mais parce que les convictions qui ont été la passion de la jeunesse, la force et l’honneur de l’âge mûr, ne se laissent pas déraciner si vite d’une âme bien faite par le premier coup de vent de la mauvaise fortune.

Ce qui a fait le charme de cette séance académique et ce qui lui a donné cet air de bonne grâce sérieuse et virile, c’est justement cette sève généreuse qui passe dans les discours, c’est qu’après tout on se sent pour un moment dans une température morale supérieure à la température du dehors, c’est qu’enfin on se dit que de toute façon, pour une raison ou pour l’autre, il n’y a pas beaucoup de lieux en France où on puisse parler ce langage, et sous ce rapport la réception de M. Jules Favre a eu vraiment un mérite, une originalité : elle a été très vivante, elle a ressemblé à un dialogue d’honnêtes gens libres de cœur et d’esprit, maîtres de leur pensée, s’entretenant devant un public d’élite de toutes les choses qui passionnent leur temps. Est-ce l’avocat éprouvé dans les luttes du barreau, est-ce le député au corps législatif que l’Académie a recherché en nommant M. Jules Favre ? Ce n’est ni l’un ni l’autre, et c’est l’un et l’autre peut-être. Sans trop examiner, sans analyser trop minutieusement les raisons de son choix, l’Académie a surtout voulu probablement fêter un de ces hommes nos contemporains qui ont fait de la parole une puissance, l’orateur qui a mis son éloquence au service des bonnes causes et de la liberté publique quand la liberté était encore plus éprouvée qu’aujourd’hui, — celui qui avec quatre autres a marché le premier au feu et ne s’est pas senti découragé quand la lutte