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de manière à séparer facilement le cuir de la chair; puis on l’ouvre, on le vide et on le pare. Parer un bœuf, c’est, après l’avoir accroché à une poutre transversale, le dépouiller de sa peau, le débarrasser de tous ses organes intérieurs, détacher les cuisses, enlever la tête, le fendre dans toute sa longueur et lui donner la plus belle apparence possible. Cette minutieuse et fatigante besogne exige une demi-heure de la part d’un ouvrier expérimenté. Jamais à l’abattoir on ne se sert de scie : là les garçons bouchers dédaignent cet instrument, qui facilite singulièrement le travail; ils n’emploient que le couteau et une sorte de hache tout en fer qu’on nomme un fendoir et qu’ils manient avec une dextérité merveilleuse. A l’aide de cet outil, qui paraît lourd et incommode, ils divisent d’un bout à l’autre la colonne vertébrale d’un bœuf avec une telle précision que la moelle épinière est séparée en deux parties exactement égales. Les dénominations employées par les gens de l’abattoir semblent appartenir à une langue spéciale : les maxillaires supérieurs d’un bœuf s’appellent le canard, la moelle épinière devient l’amourette; l’estomac, c’est la pâme, et ainsi de suite; un professeur d’anatomie ne s’y reconnaîtrait guère.

Parmi ces hommes alertes et solides qui chantent et rient tout en se hâtant, il en est quelques-uns que l’on distingue, car ils ne procèdent point comme les autres. Ce sont les sacrificateurs juifs; il y en a cinq à l’abattoir central. Ils ont été désignés par le grand rabbin après examen préalable. Tout animal destiné à la nourriture des juifs doit être égorgé, et ne peut, sous aucun prétexte, être préalablement assommé. Cette méthode tout hiératique est cruelle, et j’ai vu des bœufs se débattre longtemps avant de mourir. De plus la bête, aussitôt qu’elle est morte, doit être ouverte et examinée avec minutie, car, si elle est impure, elle ne peut être livrée au peuple de Dieu. Le Lévitique, chapitre XXII, a énuméré tous les cas qui devaient faire rejeter la viande destinée à la nourriture. L’animal qu’on s’apprête à sacrifier devrait être, selon l’antique usage des juifs, attaché par les quatre pieds réunis, en souvenir d’Isaac, que son père lia ainsi sur le bûcher; aujourd’hui, à Paris du moins, où les minutes valent des heures, on se contente à moins. Lorsque le bœuf est solidement fixé à l’anneau, on lui passe un nœud coulant à chaque jambe de devant; la corde qui le forme est attachée à un câble manœuvré à l’aide d’un treuil; en deux tours de roue, l’animal est par terre, étendu sur le flanc. Un boucher pose un genou sur son épaule, le saisit par les cornes et lui ramène violemment la tête en arrière. Involontairement, lorsqu’on assiste à ce spectacle, on pense aux sculptures commémoratives du culte de Mythra. Pendant ce temps, le chokhet (textuellement le