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malgré eux, par la force de la situation : ils étaient trop honnêtes et trop enviés pour ne pas succomber sans avoir attaqué. Dans les époques de corruption, les gens de bien qui n’ont pas osé prendre l’offensive doivent se résigner à se défendre et à n’être plus que des victimes.

Tibère avait peur d’Agrippine, spectre vivant de cet Auguste qui l’avait toujours fait trembler. Livie haïssait l’altière fille de Julie, qui seule avait échappé à ses coups, car sa mère et sa sœur avaient été exilées par ses soins, deux de ses frères étaient morts de son aveu, disait-on ; le troisième. Agrippa Postumus, avait été égorgé par son ordre. La haine de la marâtre était moins inconciliable encore que le ressentiment de la belle-fille, à qui des mains teintes de sang et de poison faisaient horreur. Si Agrippine se fût montrée soumise, timide, silencieuse, on l’eût laissée vivre sur le Palatin, après la mort de son mari, à côté de la douce Antonia, veuve honorée de Drusus. Il faut même avouer que Tibère et Livie ont fait longtemps preuve de patience, plutôt par crainte des Romains que par respect pour le dernier rejeton d’Auguste. Agrippine, par sa fermeté, ses fautes, sa violence et son ambition maternelle, qui était effrénée, a provoqué ses ennemis, découragé ses partisans, ruiné sa cause avec celle des derniers amis de la liberté. Pour comprendre son rôle, il faut pénétrer d’abord son caractère et esquisser son portrait.

Tacite l’a peinte en quelques traits d’autant plus décisifs qu’il est un de ses admirateurs. On sent, malgré le voile d’indifférence qui sépare les générations les unes des autres, qu’il est au fond du cœur un honnête partisan d’Agrippine, et qu’il cède à l’attrait irréfléchi d’un grand esprit pour ceux qui restent grands, nobles et malheureux dans l’histoire. Et cependant Tacite, écrivain sincère, ne peut céler les défauts d’Agrippine. « Agrippine, dit-il, ne savait pas assez se contenir. Toutefois sa chasteté et son amour pour son mari tournaient vers le bien-son esprit indomptable. » Ailleurs, à propos d’accusations odieuses que Tibère répandait contre sa vertu, prétendant qu’elle avait pour amant Asinius Gallus : « Impatiente de l’égalité, dit-il, avide de domination, elle avait des soucis trop virils pour ne pas dépouiller les vices de son sexe. » Enfin, dans plusieurs autres passages, quand il parle des colères d’Agrippine, il emploie deux mots énergiques (pertinax iræ), qui font sentir la violence et la durée de ces colères.

À ces renseignemens s’ajoutent les monumens découverts et classés par les archéologues, de sorte que l’image d’Agrippine peut se dresser devant la postérité vraisemblable, réelle, vivante. Les premiers documens sont les monnaies. On en a frappé en l’honneur d’Agrippine sous Caligula, son fils, sous Claude, son beau-frère, et