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instant soumis par l’absence de contrat écrit à une expulsion sommaire. Les nouveaux petits propriétaires, en grande partie irlandais et catholiques, tiennent beaucoup aujourd’hui au respect de la propriété, et le programme fenian a trouvé en eux d’ardens adversaires.

Le clergé catholique n’avait pas attendu cette dernière crise pour rendre à l’ordre public des services beaucoup plus grands qu’on ne le croit généralement en Angleterre. Il a si efficacement exercé son influence sur la population que, malgré le grand nombre des actes de vengeance connus sous le nom de meurtres agraires, qu’il n’a pu entièrement prévenir, la moyenne des crimes contre les personnes a, dans ces derniers temps, toujours été moindre en Irlande qu’en Angleterre. En présence du fenianisme, il s’est prononcé énergiquement et catégoriquement; il l’a condamné hautement tant en Amérique qu’en Irlande. Il lui a porté ainsi un coup redoutable, mais il a beaucoup risqué lui-même. C’était la première fois que l’Irlandais se trouvait obligé de choisir entre ses prêtres et ce qu’il considérait comme une cause nationale. Il a hésité, commençant par se rendre aux exercices nocturnes des conspirateurs, et disparaissant ensuite au moment de commettre un acte de rébellion ouverte. L’influence du clergé a généralement prévalu; cependant elle a subi une certaine atteinte dans les parties de l’Irlande où les passions agraires sont les plus violentes.

Le moment est donc arrivé où les Irlandais, autrefois unis sous l’oppression, se divisent en deux camps. Les uns, faisant appel aux passions ardentes, aux tristes souvenirs du passé, se lancent dans les conspirations et les insurrections avortées pour continuer avant tout la guerre traditionnelle contre l’Angleterre; les autres, au lieu de ruiner leur pays par des troubles nouveaux, demandent à l’ordre et à la liberté, à la destruction des anciens abus, aux progrès du bon sens et de la prospérité, les moyens d’achever l’œuvre conciliatrice qui seule en ce moment est pour l’Irlande le gage d’une véritable indépendance. Ils savent que l’Angleterre d’aujourd’hui n’est plus l’Angleterre qui les a écrasés, que ses principes de gouvernement ne sont plus les mêmes, et qu’ils peuvent désormais compter sur la sympathie de cette opinion publique qui maintenant dirige sa politique. Ce sont ces sympathies dont M. Gladstone s’est fait l’éloquent interprète et l’heureux champion.

Pour que l’on comprenne la valeur de ces propositions, il nous faut indiquer ici la situation dans laquelle se trouvent les deux églises rivales.