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administration, ils sont aux prises avec des questions redoutables qui embarrassent les gens même qui ont passé leur vie à y réfléchir. Il faut qu’ils étudient, qu’ils consultent, qu’ils apprennent. « Que voulez-vous ? disait spirituellement un ministre à ceux qui lui reprochaient son inaction, je ne puis pas avoir l’Université infuse. » Pour la connaître, il faut du temps. C’est un apprentissage difficile et qui sera long, s’il veut être sérieux ; aussi est-il rare qu’un ministre puisse l’achever. A peine commence-t-il à s’y reconnaître que le vent souffle d’un autre côté. On lui donne un successeur : c’est une éducation à recommencer.

L’enseignement supérieur surtout souffre de cette organisation. Plus que tout le reste, il a besoin de liberté, et il faut qu’il se sente à l’aise pour être fécond. Là, un professeur éminent crée sa méthode, et ne la reçoit pas toute faite des bureaux du ministère. Se figure-t-on un règlement qui prévoit la façon dont Champollion doit enseigner l’archéologie égyptienne, lui qui la créait en l’enseignant ? Ces études sont donc celles qui rentrent le moins dans le cadre d’une administration régulière ; aussi les administrateurs, à qui elles échappent, ne les traitent-ils pas avec faveur. Il arrive même que les ministres, quand ils ne sont pas familiers par leur passé avec les questions scientifiques, n’en comprennent pas bien toute l’importance. Comme ils ont fait leurs classes et qu’ils sont bacheliers, ils savent par souvenir ce que c’est qu’un lycée et ce qu’on y apprend : aussi s’en occupent-ils avec plaisir ; mais l’enseignement supérieur, qui leur est plus étranger, les intéresse moins. Ils ne saisissent pas nettement à quoi il peut servir, et nous avons vu trop souvent les chaires de nos facultés regardées comme une retraite pour les professeurs fatigués ou même comme un exil pour ceux dont on était mécontent. Les chambres non plus ne sont pas très disposées à les protéger. Elles comptent d’ordinaire plus d’industriels que de savans, et se piquent de considérer les choses par le côté pratique. À ce point de vue, l’utilité de ces hautes études ne les frappe pas. On accorde sans doute assez peu à l’instruction populaire, mais on la traite au moins avec respect. Ceux qui lui refusent le plus énergiquement leurs écus croient devoir verser quelques larmes annuelles sur la misère de la France, qui ne lui permet pas d’élever ses enfans, tant elle dépense pour les armer. Quant à l’enseignement supérieur, on n’y met pas tant de cérémonie, et l’on se dispense même à son égard de cette sympathie peu coûteuse.

M. Renan n’a pas de peine à prouver combien cette indifférence générale pour l’enseignement supérieur est déraisonnable. Aux esprits légers qui croient faire merveille en le rabaissant au profit de