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comprennent et puissent les suivre avec intérêt. C’est à cette condition seule que la vie circulera dans le corps chargé d’instruire la jeunesse. Si au contraire tout le monde s’en tient à sa tâche, ne s’occupant que de la bien accomplir et sans être capable de la dépasser, après quelques années l’enseignement est pétrifié. Les méthodes deviennent des mécaniques, les préceptes se changent en formules, les procédés ne sont plus que des routines. Rien ne se renouvelant plus, l’assoupissement et la mort se répandent partout.

M. Duruy s’est préoccupé de ce danger. Il a l’intention, pour l’éviter, de permettre à quelques élèves de l’École normale chez qui on aura reconnu de véritables vocations scientifiques de prolonger d’un an ou de deux leur séjour à Paris. Les historiens compléteraient leur instruction à l’École des chartes, les littérateurs et les philosophes suivraient des cours de la Sorbonne et du collège de France, ou même on les enverrait dans quelque université étrangère. C’est une excellente mesure[1], mais elle n’est pas suffisante. Elle ne profite qu’à quelques élèves ; elle fait de la science une exception, et il faut autant que possible qu’elle devienne la règle générale. Je ne me dissimule pas qu’il n’est pas facile d’y arriver. Ce qui rend le problème fort délicat, c’est que le temps est très rempli à l’École normale, qu’on n’y peut pas introduire des études nouvelles sans en supprimer d’autres, et qu’il serait dangereux d’abolir ou de réduire ces exercices littéraires qui ont produit de si heureux résultats. Après y avoir bien réfléchi, il me semble que c’est sur la première année que les réformes doivent porter, et qu’il n’y aurait pas trop d’inconvéniens à en changer le caractère. Elle est tout entière occupée par la préparation de la licence ès-lettres. On y refait les travaux des collèges, dissertations, thèmes grecs, vers latins ; ce n’est à tout prendre qu’une rhétorique supérieure. Elle est assurément utile, mais elle pourrait l’être bien davantage, employée autrement. Il faudrait donc que l’élève entrât licencié à l’école ou qu’on le dispensât de la licence. Délivré de cet examen dont la perspective l’effraie et dont la préparation l’absorbe pendant toute une année, il se livrerait à d’autres études auxquelles on a peine à comprendre qu’il reste étranger. Croirait-on par exemple qu’une partie seulement des élèves de lettres à l’École normale suit le cours de grammaire ? Les autres sont condamnés à l’ignorer toute leur vie, et les choses sont si singulièrement réglées qu’on regarde comme un privilège de ne pas l’apprendre, et qu’on ne l’enseigne qu’à ceux qui sont destinés aux classes inférieures des

  1. Cette mesure avait été déjà prise par M. Fortoul. Parmi les élèves de l’école qui en ont profité alors se trouve le jeune orientaliste qui professe avec tant de succès la grammaire comparée au Collège de France, M. Michel Bréal.