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L’empereur d’Autriche ne fait que passer à Vienne pour fraterniser avec les francs-tireurs allemands. L’empereur des Français était hier à Plombières, et en passant à Troyes il a cru devoir déclarer une fois de plus que « rien ne menace aujourd’hui la paix de l’Europe, » ce qui après tout ne garantit rien pour demain. Les princes se promènent, et les parlemens aussi ont pris leurs vacances d’été. Les chambres anglaises ont quitté Londres en même temps que la reine, attendant les élections prochaines et laissant M. Disraeli fort content de vivre après une session où il ne s’est sauvé du rude assaut de M. Gladstone que par toutes les habiletés de sa tactique. Le parlement italien à son tour vient de clore sa longue, sa laborieuse session en votant la loi qui met en ferme l’exploitation des tabacs, et en assurant par un dernier vote au cabinet Ménabréa une victoire d’autant plus significative qu’il s’était formé une opposition dont M. Rattazzi était venu prendre le commandement, à laquelle s’est rallié le président même de la chambre, M. Lanza. Tout semble donc au repos ; rien ne s’arrête cependant, et ce n’est pas tout à fait sans raison que le général Ménabréa, achevant sa victoire parlementaire, a pu dire : « Regardez au-delà de cette enceinte ; qui vous dira ce qui peut se produire en une année ? J’espère dans la paix, mais on en parle trop, je voudrais qu’on en parlât moins… » Tant il est vrai qu’on ne peut parler de rien, pas même d’une loi de finances, pas même de la compagnie des tabacs, sans avoir l’œil tourné ailleurs, sans prêter l’oreille à quelque bruit mystérieux !

La politique ! elle ne s’efface pas si aisément pour un peu de soleil, parce que princes et hommes d’état sont pris d’un goût de villégiature ou vont se tremper dans les piscines d’une ville de bains. Quand elle n’est pas dans les parlemens ou dans les actes apparens des cabinets, elle est dans les fêtes populaires, et il se trouve que le drame qui semble interrompu se poursuit sous d’autres formes, dans d’autres incidens, comme ces manifestations nationales et démocratiques qui tout récemment ont fait un instant de Vienne le point central de l’Allemagne. Là en effet cette terrible question allemande vient de faire sa dernière apparition avec tout son cortège d’illusions et de difficultés pratiques. Pendant douze jours, sous prétexte de disputer le prix du tir, plus de vingt mille Allemands venus de la Bavière, de la Souabe, de la Franconie, de la Saxe, du Tyrol et même de la Suisse, ont défilé, péroré, porté des toasts dans des banquets, fraternisé et même bataillé aussi librement qu’ils auraient pu le faire dans la libre Angleterre. Cette aimable cité de Vienne, la ville des plaisirs et des congrès, s’est parée et animée pour recevoir ses hôtes, enthousiasmés de se trouver au milieu d’une Autriche hospitalière et ouverte aux libérales influences. Assurément c’est déjà un fait des plus curieux de voir la paisible ville des Habsbourg se transformer un instant en un vaste meeting, l’empereur lui-même se mêler familièrement à ces fêtes, les membres du gouvernement prendre part à