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litique s’accomplit dans son sein. La couronne, s’appuyant sur les cortès, brise et réduit au rôle de courtisans ces orgueilleux seigneurs de Castille et d’Aragon qui forment encore aujourd’hui l’aristocratie la plus fermée de l’Europe. Dix ans suffisent à Ferdinand et à Isabelle pour arriver à ce résultat, que la politique constante de nos rois depuis Louis VI jusqu’à Louis XI avait vainement poursuivi. Au dehors, les armées espagnoles sont toujours en campagne: elles luttent avec la France dans les plaines du Roussillon et sur les bords du Garigliano; elles chassent de l’Espagne les sectateurs du Coran, et, franchissant le détroit, vont porter la guerre jusque sur leur territoire.

Les étroites limites dans lesquelles il entendait se renfermer ne permettaient pas à Prescott de mesurer d’après leur importance historique la place qu’il donnait à chacun de ces grands faits. Aussi, dans la crainte que son ouvrage n’eût d’autre mérite que celui d’une exposition claire, judicieuse, méthodique, des événemens principaux d’une époque importante, il a fait choix, comme nous le disions tout à l’heure, d’un certain nombre d’épisodes dans le développement desquels il s’est complu. Les guerres avec les Arabes et la conquête de Grenade dans la première partie, les luttes avec la France et les exploits de Gonzalve de Cordoue dans la seconde, tiennent une place qu’on a peine à vouloir moins grande, car ce sont les plus belles pages du livre, mais qu’on ne saurait cependant s’empêcher de reconnaître pour exagérée. On paie ensuite le plaisir qu’on a goûté en sentant l’intérêt languir et l’attention se distraire à la lecture de certains chapitres où des incidens d’une véritable importance sont racontés avec trop de brièveté. En prenant son parti d’allonger un peu son œuvre, tout en remontant peut-être un peu moins loin en arrière, en sachant ajouter et en sachant retrancher, Prescott aurait pu faire de l’Histoire de Ferdinand et d’Isabelle une de ces œuvres achevées qui défient la critique et demeurent comme des modèles. Ses compatriotes, on l’a vu, n’y trouvaient rien à redire; mais pour nous, qui savons ce qu’il était capable de faire, nous croyons lui rendre hommage en nous montrant un peu plus sévère.


II.

L’éclatant succès de son premier ouvrage eut, comme on peut penser, pour résultat d’affermir Prescott dans sa vocation et de montrer à sa famille comme à lui-même qu’il ne s’était pas trompé. A partir de la publication de Ferdinand et Isabelle, il est bien véritablement un homme de lettres. Il ne vit plus que pour le travail, pour l’histoire, pour le passé. Sa vie s’écoule dans une paisible