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biles dans l’art d’en tirer parti; mais, ainsi que nous l’avons reconnu pour les premiers docteurs de l’église, il est évident que leur siège de théologiens est fait d’avance, et que chacun d’eux cherche les textes les plus favorables à sa thèse.

Si l’on veut des esprits libres ou des savans dont l’érudition soit le premier souci, il faut penser à des hommes comme Bayle et comme Fréret. Chez eux en effet, on trouve quelque chose qui ressemble à une œuvre scientifique, et ce n’est pas sans raison qu’ils ont été considérés comme les précurseurs de la science et de la critique religieuses de notre temps. A vrai dire, l’ère de cette science et de cette critique commence avec le XIXe siècle et seulement en Allemagne. Là se fondent de véritables écoles d’exégèse qui ont pour but non de défendre ou d’attaquer une doctrine, mais de chercher la vérité, quelle qu’elle soit, en vérifiant l’authenticité des textes, en en dégageant le sens réel par une étude comparée, par une interprétation fidèle et sagace. Quand ce premier travail de pure érudition et de pure critique est fait, les esprits qui se sentent capables d’une généralisation philosophique arrivent, en s’appuyant sur cette solide base, à expliquer l’origine historique et psychologique des mythes et des symboles dont se compose telle ou telle religion. Voilà comment l’école de Tubingue, par exemple, est par- venue à créer une vraie science religieuse, laquelle a aujourd’hui ses méthodes, ses principes et ses conclusions arrêtées. Tout en prenant fort au sérieux cet ordre d’idées et de sentimens que le siècle dernier avait si légèrement traité, la critique de notre temps en fait une matière d’étude historique et d’analyse psychologique, non un objet de croyance et de doctrine. Qu’est-il résulté de là? Au XVIIIe siècle, on rejetait toute religion positive comme indigne d’occuper les loisirs d’un philosophe et d’un savant. Au nôtre et surtout dans la période présente, on accueille avec respect et même avec sympathie toute chose de ce nom, comme un des objets les plus élevés de la science, mais sans y porter d’autre sentiment qu’une curiosité noble et délicate. La foi religieuse, que l’enthousiasme historique des premières années du siècle semblait devoir ranimer, tend à s’éteindre au contraire de plus en plus au contact des études de science religieuse. Depuis qu’on a vu comment certaines religions naissent, se forment, se développent, s’établissent, puis entrent en décadence et enfin tombent en dissolution, on a compris que cette chose sacrée et mystérieuse est soumise à toutes les vicissitudes des institutions humaines et naturelles. Auparavant on niait ou on raillait sans savoir et sans comprendre; aujourd’hui on sait, on explique et on juge. Or il ne faut pas être un profond observateur de l’esprit humain pour prédire que, si la foi peut renaître à la rigueur dans un esprit voltairien,