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la tradition catholique y sont discutés et renvoyés au chapitre de la légende. Quand notre théologie oratoire voit les textes se dresser devant elle, elle passe son chemin, mais toujours la tête haute, comme si elle n’avait rien vu.

On a répondu, il est vrai, au livre de M. Ernest Renan. Pourquoi ? Parce que l’auteur a volontairement prêté le flanc à la critique en essayant, dans cette œuvre, de reconstruire la réalité historique tout entière à l’aide de données incomplètes, parce qu’il a voulu faire une véritable histoire avec une légende, au lieu de s’en tenir à l’œuvre de critique pure accomplie par Baur, Strauss, Reuss, Albert Réville, Michel Nicolas et les savans allemands et français qui ont traité de ces matières. On a donc eu la bonne fortune de prendre l’éminent écrivain en flagrant délit d’hypothèses, et on en a tiré la conclusion très fausse que ce livre n’est qu’un roman. Belle découverte en vérité! Comme si M. Renan n’avait pas pleinement conscience de sa méthode, comme s’il ne savait pas qu’en pareille matière et avec un pareil dessein l’hypothèse est nécessaire, non pour établir la réalité (ce n’est jamais son rôle), mais pour aider simplement à la faire comprendre! La critique moderne n’a pas, dans l’ordre d’idées qui lui est propre, les mêmes illusions que la théologie orthodoxe dans sa foi naïve à l’histoire des origines du christianisme. Elle sait après examen que les données du problème ne sont ni assez claires ni assez complètes pour aboutir à une histoire véritable, et que l’hypothèse y aura toujours une large part, si l’on veut faire quelque chose qui ressemble à une composition historique. On n’a donc compris ni le but ni la pensée de M. Renan, qui a voulu plutôt représenter à l’imagination que soumettre à la critique l’impression générale que les choses, les lieux et les textes ont fait naître dans son esprit quant à cette réalité historique dont les principaux traits seuls peuvent être dégagés de la légende. Quoi qu’on en ait dit, ce tableau a été composé en grande partie avec les résultats de la critique et les données de l’érudition, l’hypothèse n’étant appelée que pour combler les lacunes laissées par la science. C’est ce que M. Havet, tout en faisant ses réserves, a expliqué dans un travail publié ici même et qui est resté sans autre réponse que quelques mots un peu vifs du père Gratry.

Que la critique ait le droit d’en faire un reproche à M. Renan, tout en lui tenant compte de son dessein et de son succès, cela se comprend, car c’est la science elle-même qui a dit par la bouche de Newton : hypotheses non fingo ; mais la théologie a-t-elle bien le droit de l’accuser de faire un Jésus de fantaisie, elle à qui on reproche de faire un Jésus de convention orthodoxe? Nous ne faisons pas difficulté de reconnaître que M. Renan a répandu sur une figure