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biblique une teinte de sensibilité moderne en prêtant à Jésus des incertitudes, des calculs, des regrets mélancoliques, des retours en arrière, dans l’ardente poursuite de sa mission. Si Jésus est pris pour une personne humaine, comme le veut l’école critique, il ne faut jamais oublier que c’est une personne juive, c’est-à-dire un voyant que la foi soutient, que l’esprit divin possède de façon à ne laisser guère de place au jeu libre des volontés personnelles. La théologie ne fait-elle pas aussi des hypothèses quand elle choisit à son gré entre des textes différens et parfois contradictoires ? Ainsi, pour ne citer qu’un exemple, le Jésus de la théologie commence, poursuit, achève sa mission avec une force toute divine : sauf un accès de défaillance au jardin des Oliviers et un cri de désespoir sur la croix, il conserve une foi et une espérance indomptables jusqu’au dernier soupir, et meurt en voyant les cieux ouverts et le Père qui tend les bras à son fils ressuscité. N’est-ce pas seulement le Jésus de saint Luc et de saint Jean qui montre cette confiance et cette sérénité ? Dans les évangélistes saint Matthieu et saint Marc, où se laisse entrevoir la réalité historique à travers une tradition plus fidèle, le drame de la passion est autrement sombre et désolant ; là il n’est question ni de résurrection ni de glorieuse ascension au ciel avant la mort de Jésus. Quelle fut la dernière pensée, le dernier sentiment de Jésus sur la croix ? Est-il mort radieux et triomphant ou dans l’accablement du désespoir ? Malgré les contradictions des Évangiles, la théologie n’a aucun doute ; mais la science n’a point la même intrépidité d’affirmation : elle hésite encore tout en inclinant vers la seconde hypothèse.

Quoi qu’il en soit, si M. Renan n’eût voulu que réduire l’histoire évangélique à son minimum de réalité à peu près incontestable, il eût, selon l’exemple de Strauss, extrait des Évangiles, et particulièrement des synoptiques, tout ce que la méthode de contradiction laisse subsister, c’est-à-dire les grands faits et les grandes maximes évangéliques qui en forment comme la quintessence, pour nous servir de l’expression du théologien allemand. Voilà la critique qui attend encore la réfutation de nos théologiens français. Qu’à l’aide d’une science supérieure qui rétablirait le véritable sens des textes et restituerait aux faits évangéliques leur réalité historique, ils parviennent à infirmer les conclusions d’une pareille critique, ils auront rendu à leur cause un bien autre service qu’en relevant les hypothèses ou les conjectures que peut renfermer le livre de M. Renan. Il n’est que juste de le reconnaître, rien ne manque aux docteurs et aux apologistes de la théologie catholique pour accomplir cette tâche, si elle est possible. Sans parler des vieux noms, tels que les de Maistre, les de Ronald, les Lamennais (Essai sur l’Indifférence), les Frayssinous, elle compte des savans et des écrivains qui font